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Page:Lebel - La petite canadienne, 1931.djvu/58

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LA PETITE CANADIENNE

— Mademoiselle, reprit Tonnerre, il faut m’écouter une petite minute. Il va falloir un peu récapituler. Vous savez ce qui est arrivé là-bas, à New York ? Eh bien ! la même aventure pourrait bien arriver à d’autres et à de plus solides que Monsieur Pierre ! Car, il n’y a pas à dire, c’était une créature admirable, une enjôleuse de première force, capable de tourner la tête au Kaiser lui-même. Tenez, mademoiselle, aussi vrai que le bon Dieu va me juger un jour, voici, par exemple, Maître Alpaca… Et vous ne direz pas que Maître Alpaca n’est pas un fort ? Eh bien ! le croirez-vous, ce cher Maître s’est laissé ensorceler par cette diablesse de Miss Jane, au point qu’il a failli perdre sa propre tête…

Un long et lourd soupir d’Alpaca parut confirmer les dires de Maître Tonnerre, qui poursuivit :

— Ainsi donc, mademoiselle Henriette, vous ne pouvez pas refuser de pardonner à Monsieur Lebon un petit écart qui arrive à bien d’autres… qui me serait arrivé à moi-même. Je vous l’avoue franchement et sans fausse honte. Ainsi donc…

Henriette l’interrompit.

— Mais dites-moi donc, ce qu’il est devenu, mon Pierre ?

— Entendez-vous ça, cher Maître ? s’écria joyeusement Tonnerre en se tournant du côté d’Alpaca qui demeurait toujours grave. Elle a dit « mon Pierre »… Avez-vous entendu ?

— Oui, oui, Maître Tonnerre, c’est bon signe !

— Comment !… si c’est bon signe…

Et Tonnerre, revenant à Henriette :

— Ah ! vous lui pardonnez donc à votre Pierre, à la fin ?

La figure rubiconde de Tonnerre rayonnait d’une joie immense.

— Ai-je jamais dit que je lui gardais rancune ? fit la jeune fille souriante. Mais non, jamais ! Vous voyez bien que je meurs de ne plus le voir !

— Est-ce possible ? s’écria Tonnerre avec ahurissement. Quoi ! vous mourez de ne plus le voir ? Par tous les testaments ! ne mourez pas… attendez un peu ! Holà, Maître Alpaca ! rugit-il.

Et Alpaca, comme s’il n’eut attendu que cet ordre, s’élança vers la porte de la chambre, l’ouvrit, et cria dans le corridor :

— Venez, Monsieur Lebon… on vous attend !

Et Pierre, tout confus, parut !

Henriette lui sourit seulement.

Pierre comprit ce sourire… Il courut au lit, tomba à genoux et murmura ces paroles :

— Henriette, pardon… pardon… !

Et elle, toujours plus souriante, prit dans sa main morte la main tremblante du jeune homme, et lui dit de sa voix limpide et harmonieuse :

— Pierre, j’ai tout oublié, hormis que vous êtes toujours celui à qui j’ai donné toute mon âme !…

Alpaca et Tonnerre pleuraient doucement…


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