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Page:Lebel - Les amours de W Benjamin, 1931.djvu/17

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LES AMOURS DE W. BENJAMIN

me traîner à genoux devant les gens de l’hôtel où je loge depuis deux jours. Et qui sait, si, là encore, on ne me prendra pas pour une drôlesse ?

De nouveaux sanglots éclatèrent sur les lèvres de la pauvre inconnue.

Benjamin pensa qu’il se trouvait en présence d’une de ces jeunes demoiselles américaines qui ont toutes les audaces, ne doutent jamais de rien, et passent d’un pays dans un autre, seules, sans se faire accompagner, sûres qu’elles sont toujours que le meilleur compagnon de voyage est une jolie bourse bien nourrie.

Mais Benjamin possédait une âme sensible et généreuse. Voici ce qu’il proposa à l’inconnue.

— Mademoiselle, dit-il, il se peut fort bien que vous rencontriez à votre hôtel du mauvais vouloir, et je comprends qu’il est humiliant pour vous de demander à des étrangers souvent mal disposés les secours dont vous avez besoin. Mais si je puis vous inspirer quelque confiance, je vous prendrai sous ma protection durant quelques jours, après quoi je vous confierai à un ami intime qui part pour New York bientôt. Et soyez assurée que cet ami à moi est digne de toute votre confiance et qu’il vous ramènera saine et sauve sous le toit de votre père. Ma proposition vous agrée-t-elle ?

— Ah ! merci mille fois, monsieur, s’écria l’inconnue en saisissant les mains gantées de Benjamin qu’elle porta dévotement à ses lèvres. Qui que vous soyez, je vous bénis. Dès cet instant ma reconnaissance et mon dévouement vous sont acquis.

— Vous ne me devrez rien, mademoiselle, car je n’ai aucun mérite à vous tendre une main secourable que vous-même, j’en ferais le serment, m’auriez tendue si, dans le besoin, je me fusse trouvé sur votre passage.

Le traversier venait d’accoster à son quai.

Avant de s’engager sur la passerelle. Benjamin tendit un billet de banque au capitaine, disant :

— Je paye pour mademoiselle et moi…

Il s’effaça galamment pour laisser passer l’inconnue qu’il suivit ensuite sous la barbe ébahie du marin.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce ne fut que sous l’éclat des lustres du Corona que Benjamin put à son gré étudier la physionomie de sa protégée.

Elle était vêtue d’une robe d’un gris très foncé à petites rayures rouges et blanches, et d’un manteau de nuance plus tendre. Une petite toque de soie noire ornée d’une unique petite plume blanche était coquettement posée sur une massive chevelure rousse qui étincelait de reflets d’or sous les feux des lustres.

Des yeux très noirs, humides de larmes encore, éclairaient une jolie figure d’un bel ovale et d’une peau presque laiteuse, figure qui demeurait empreinte d’une sorte de mélancolie farouche. Et sur des lèvres très rouges Benjamin pouvait saisir un petit sourire indifférent, presque dédaigneux.

Le jeune homme demeura un moment ébloui par la beauté étrange et hardie de cette inconnue. Puis il songea aussitôt à faire loger la jeune américaine. Il obtint une jolie chambre et commanda qu’on servit dans cette chambre une collation à la jeune fille. Puis il lui souhaita bonne nuit, promettant de venir le lendemain matin prendre de ses nouvelles.

— Je serai heureuse de vous revoir, dit l’américaine avec un beau sourire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après avoir quitté l’inconnue, Benjamin rentra à son appartement qui se composait d’une chambre à coucher et d’un petit salon.

Dans ce salon, un jeune homme, étendu sur un divan, lisait et fumait.

Il se leva aussitôt et, mains tendues, courut au-devant de celui qui arrivait.

— Henriette !… s’écria le jeune homme avec ravissement. Enfin !… je n’ai cessé de trembler pour vous depuis votre départ de l’hôtel !

— Je vous avais pourtant prévenu, mon bon Pierre, que je ne courais aucun danger.

— C’est vrai, Henriette, mais c’était plus fort que moi. Ah ! Henriette, quelle reconnaissance ne vous devrai-je pas ! s’écria le jeune homme en serrant amoureusement, la jeune fille sur lui.

— Pierre, vous me devrez seulement tout votre amour !

— Il est à vous tout entier et pour toujours !

— Pour toujours !… répéta Henriette avec un sourire mélancolique.

— Oui, Henriette, toujours… et ma vie entière sera consacrée à faire votre bonheur… tout votre bonheur !

— Dieu vous entende, Pierre !

— Mais dites-moi vite si vous apportez du nouveau !

— Oui, j’ai du nouveau. Mais auparavant laissez-moi me débarrasser de ces vêtements masculins dans lesquels je souffre énormément.

Elle disparut dans sa chambre à coucher. Dix minutes après elle reparut, mise dans une jolie robe d’intérieur, avec ses cheveux tombant en soyeux boudins sur son front, ses oreilles et sa nuque éblouissante de blancheur.

C’était bien Henriette, notre petite canadienne, mignonne et délicieuse toujours, avec, seulement, une physionomie un peu fatiguée.

— Voyons votre nouveau ! dit Pierre Lebon en allumant une cigarette.

— D’abord, j’ai vu James Conrad et le colonel.

— Ah !… qu’ont-ils dit ?

— Un tas de choses qui ne vous intéresseraient pas. Mais une chose certaine, c’est que tous deux me croient bel et bien enterrée en quelque cimetière. Ensuite, on est activement lancé à votre recherche.

— Je n’en doute pas. Mais les plans ?… En savez-vous quelque chose ?

— Oui, et moi seule peut-être le sais.

— Que savez-vous ?

— Je sais que les plans, à cette heure, sont à New York.

— À New York !

— Oui, Pierre, à New York. Cela vous paraît étrange ? Et je sais que ces plans ont été em-