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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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Ganimard, l’un le retenant, l’autre le poussant et de telle manière que, malgré tous ses efforts, le malheureux fut expulsé jusqu’au bas du perron.

Un rassemblement se produisit aussitôt. Deux agents de police, attirés par le bruit, essayèrent de fendre la foule, mais une résistance incompréhensible les immobilisa, sans qu’ils parvinssent à se dégager des épaules qui les pressaient, des dos qui leur barraient la route…

Et tout à coup, comme par enchantement, le passage est libre !… Le maître d’hôtel, comprenant son erreur, se confond en excuses, le Monsieur en redingote renonce à défendre l’inspecteur, la foule s’écarte, les agents passent, Ganimard fonce sur la table aux six convives… Il n’y en a plus que cinq ! Il regarde autour de lui… pas d’autre issue que la porte.

« La personne qui était à cette place, crie-t-il aux cinq convives stupéfaits ?… Oui, vous étiez six… Où se trouve la sixième personne ?

« M. Destro ?

— Mais non, Arsène Lupin ? »

Un garçon s’approche :

« Ce monsieur vient de monter à l’entresol. »

Ganimard se précipite. L’entresol est composé de salons particuliers et possède une sortie spéciale sur le boulevard !

« Allez donc le chercher maintenant, gémit Ganimard, il est loin ! »

… Il n’était pas très loin, à deux cents mètres tout au plus, dans l’omnibus Madeleine-Bastille, lequel omnibus roulait paisiblement au petit trot de ses trois chevaux, franchissait la place de l’Opéra et s’en allait par le boulevard des Capucines. Sur la plate-forme, deux grands gaillards à chapeau melon devisaient. Sur l’impériale, au haut de l’escalier, somnolait un vieux petit bonhomme : Herlock Sholmès.

Et la tête dodelinante, bercé par le mouvement du véhicule, l’Anglais monologuait : « Si mon brave Wilson me voyait, comme il serait fier de son collaborateur !… Bah !… il était facile de prévoir au coup de sifflet que la partie était perdue, et qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de surveiller les alentours du restaurant. Mais, en vérité, la vie ne manque pas d’intérêt avec ce diable d’homme ! »

Au point terminus, Herlock s’étant penché, vit Arsène Lupin qui passait devant ses gardes du corps, et il l’entendit murmurer : « À l’Étoile ».

« À l’Étoile, parfait, on se donne rendez-vous. J’y serai. Laissons-le filer dans ce fiacre automobile, et suivons en voiture les deux compagnons. »

Les deux compagnons s’en furent à pied, gagnèrent, en effet, l’Étoile, et sonnèrent à la porte d’une étroite maison située au numéro 40 de la rue Chalgrin. Au coude que forme cette petite rue peu fréquentée, Sholmès put se cacher dans l’ombre d’un renfoncement.

Une des deux fenêtres du rez-de-chaussée s’ouvrit, un homme en chapeau rond ferma les volets. Au-dessus des volets, l’imposte s’éclaira.

Au bout de dix minutes, un Monsieur vint sonner à cette même porte, puis, tout de suite après, un autre individu. Et enfin, un fiacre automobile s’arrêta, d’où Sholmès vit descendre deux personnes : Arsène Lupin et une dame enveloppée d’un manteau et d’une voilette épaisse.

« La Dame blonde, sans aucun doute, » se dit Sholmès, tandis que le fiacre s’éloignait.

Il laissa s’écouler un instant, s’approcha de la maison, escalada le rebord de la fenêtre et, haussé sur la pointe des pieds, il put par l’imposte, jeter un coup d’œil dans la pièce.

Arsène Lupin, appuyé à la cheminée, parlait avec animation. Debout autour de lui, les autres l’écoutaient attentivement. Parmi eux, Sholmès reconnut le Monsieur à la redingote et crut reconnaître le maître d’hôtel du restaurant. Quant à la Dame blonde, elle lui tournait le dos, assise dans un fauteuil.

« On tient conseil, pensa-t-il… Les événements de ce soir les ont inquiétés et ils éprouvent le besoin de délibérer. Ah ! les prendre tous à la fois, d’un coup ! »

Un des complices ayant bougé, il sauta à terre et se renfonça dans l’ombre. Le Monsieur en redingote et le maître d’hôtel sortirent de la maison. Aussitôt le premier étage s’éclaira, quelqu’un tira les volets des fenêtres. Et ce fut l’obscurité en haut comme en bas.

« Elle et lui sont restés au rez-de chaussée, se dit Herlock. Les deux complices habitent le premier étage. »

Il attendit une partie de la nuit sans bouger, craignant qu’Arsène Lupin ne s’en allât pendant son absence. À quatre heures, apercevant deux agents de police, à l’extrémité de la rue, il les rejoignit, leur expliqua la situation et leur confia la surveillance de la maison.

Alors il se rendit au domicile de Ganimard, rue Pergolèse, et le fit réveiller.

« Je le tiens encore.

— Arsène Lupin ?

— Oui.

— Si vous le tenez comme tout à l’heure, autant me recoucher. Enfin, passons au commissariat. »

Ils allèrent jusqu’à la rue Mesnil, et de là, au domicile du commissaire, M. De-