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L’ENTHOUSIASME

tions en nous accostant des gestes de surprise fort maladroits, comme des gens qui ne se sont pas vus depuis une éternité, et nous nous quittions cérémonieusement, comme des gens qui ne se verront plus jamais. Au premier tournant je me jetais dans une rue adjacente, je galopais jusqu’à ce que Geneviève m’apparût de nouveau, et l’accompagnais ainsi de loin, sur le trottoir opposé, la dépassant, m’arrêtant, évoluant autour d’elle, admirant sa grâce, et recueillant, comme le gage d’amour le plus passionné, le sourire discret de ses yeux.

Charme bien âcre cependant que celui de ces rapides entrevues, sous l’œil attentif des promeneurs et sous l’œil invisible de tous ceux qui nous devaient épier du fond des boutiques et du haut des fenêtres menaçantes ! Le poids de mille regards tombait sur nous. Une jeune femme et un jeune homme qui se parlent, ce n’est point naturel. Nous étions nerveux, distraits, incapables d’échanger autre chose que des phrases quelconques, souvent même avec irritation. Mais je la voyais, je l’entendais, j’admirais le joli mouvement de ses lèvres, la folie de mon ancien amour se mêlait à la candeur d’un amour nouveau, toutes mes émotions se doublaient de souvenirs analogues, chacune d’elles se mariant, dans le mystère de mon cerveau, à la même émotion soudain réveillée, soudain frémissante.

Étrange floraison d’un sentiment que je croyais mort, et sur lequel trois longues années avaient répandu leurs tristesses froides et leurs plaisirs sté-