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L’ENTHOUSIASME

— Donne-la moi, je la porterai moi-même, c’est préférable.

Cette proposition m’indigna, bien que je fusse incapable de la refuser. J’hésitais cependant, envahi de scrupules. Claire me prit la lettre des mains.

— Tu ne regardes pas l’adresse, lui dis-je ?

Elle haussa les épaules et s’en alla.

De sombres journées se succédèrent à Bellefeuille. La paix que j’avais affectée dans ma lettre à Mme Darzas, était factice. Je ne croyais guère plus en sa promesse qu’en la bonté de l’avenir. Je ne croyais qu’en moi.

— Seul d’un côté, me disais-je, et tout le monde de l’autre.

Et tout ce monde, de quelle puissance mystérieuse il disposait pour ainsi déjouer mes desseins les plus secrets. Avec quelle haine clairvoyante m’avait-on persécuté ! Jadis on découvrait mes voyages clandestins à Bellefeuille, et on me punissait d’exil. Depuis, on épiait toutes mes aventures, on me suivait dans la chambre d’Armande Berthier et sur la route de la Vaunoise, on s’acharnait après mon amour, on faisait trembler Geneviève, on assistait aux rendez-vous du Clos Guillaume, et, une fois encore, à l’instant où mes rêves allaient se réaliser, on me contraignait à la fuite.

— Oh ! les méchants, les fourbes, si je les tenais !

La menace ne s’adressait à personne, mais dans