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L’ENTHOUSIASME

faire, on ne m’a pas empêché d’atteindre mon but. Ce que je voulais, je l’ai, et, malgré toutes leurs malices et leur intolérance, ils n’arriveront pas à me reprendre ce que j’ai.

Je la conduisis dans le Clos Guillaume.

— Figure-toi ce jardin comme un grand espace fermé, en haut, en bas, de tous côtés… eh bien, tout cet espace est rempli de mon bonheur. Ces cailloux, ces brins d’herbe que je foule, en sont autant de parcelles… Et ce banc, Claire, ce banc… je ne puis m’en approcher sans frémir.

Admise en l’intimité de mes soirées studieuses, elle m’écoutait, faveur inestimable, déclamer mes tentatives littéraires, ou bien elle cherchait un livre qu’il me suffisait de corner à certains endroits pour être sûr qu’elle ne lirait que les pages permises. J’avais grand soin de ne jamais flétrir sa pureté de jeune fille par une lecture équivoque, un mot déplacé, ou une allusion quelconque à mes relations avec Geneviève. Mon rigorisme intraitable enchantait notre mère. Il est vrai que si les circonstances, les appréhensions toujours renouvelées de Geneviève, nous séparaient trop longtemps, je n’hésitais pas une minute — tellement ma peine prenait aussitôt des proportions dramatiques — à charger Claire de messages confidentiels. Mais que de détours, que de précautions pour que cette correspondance, qu’elle devait tenir secrète, parût le résultat d’événements tout simples ! Et comme j’étais mal à mon aise en donnant mes explications !