Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
L’ENTHOUSIASME

Geneviève était à moi. Je défendrais mon bien envers et contre tous, vaillamment, jusqu’à en mourir.

Que Philippe se tourmentât, que mère déplorât ma liaison, soit. Mais Saint-Jore ? De quoi se mêlait Saint-Jore ? En quoi cette liaison dérangeait-elle les affaires de ces messieurs, les pratiques religieuses de ces dames, les menées souterraines autour des jeunes filles à marier et des successions à recueillir ? N’était-ce point risible ? Au Cercle, les vieux bonshommes de whist et de manille, dont l’idéal n’est cependant pas très élevé, lésinaient sur la cordialité de leur poignée de main ; et certains de mes amis eux-mêmes, des gaillards affublés d’antiques maitresses, de ces viveurs qui grisonnent dans les salles de café, se tenaient avec moi sur le pied d’une réserve correcte.

Oh ! l’amour, voilà le grand ennemi en province ! Les petites intrigues sont tolérées. Mais l’amour se voit, lui, il éclate, il empiète, il est excessif, maladroit, impudent, il provoque du scandale ; et devant cet intrus, tout le monde est inquiet, les rivalités d’intérêts et de castes s’aplanissent, on se ligue, on traque le malfaiteur. Quand les circonstances — ou, il faut l’avouer, un reste de bravade — me conduisaient parmi mes semblables, j’avais l’âpre sensation de représenter un état de choses spécial et de grouper contre moi les esprits les plus opposés. Bien plus, si mère se trouvait là, je la sentais dans le camp adverse. Ferait-elle cause commune