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CHAPITRE IV

LA TRAGÉDIE DE L’EXCESSIF. ― CONTE DE FÉES EN QUATRE MOIS. ― LE FISK BUILDING, 23e ÉTAGE



Tout à coup ce fut dans ma vie la surgénérosité, la surbonté. Je n’avais rien… j’eus trop. Je rêvais d’un mécène, ce qui me tombait du ciel en valait mille. Je demandais le nécessaire, je fus accablée de luxe. De la plus petite chose à la plus grande j’avais trop, toujours trop. Un chauffeur quotidien restait devant ma porte éternellement. Chez moi, je marchais dans un parterre de roses. J’absorbais vingt livres de chocolat par semaine. Je ne buvais plus que de cette ambroisie américaine ― mélange de pêches, oranges, citrons, grape-fruit, ananas, cerises, bananes, le tout éclatant à travers la cruche de cristal comme sous la vitrine d’un joaillier.

Les membres de ma société étaient discrets, de vrais gentlemen. J’appelais le directeur-mécène « mon mât de Cocagne ». Mais je n’avais pas à grimper, pas même à souhaiter ; sans cesse je devais refuser. Je refusais les bijoux, les chèques en blanc, et je refusai ce que j’adore surtout : une maison avec un jardin sur le toit où j’aurais eu des chats et des chiens.

Alors on m’avisa qu’un bureau était loué à mon nom dans un des plus hauts buildings de la City. C’était ce que j’ambitionnais. Deux pièces ― une pour le manager, une pour les secrétaires. Des machines à écrire attendaient l’action sous