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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/39

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INCOGNITO

dont les notes ravissantes ressemblaient aux fusées qui se répandent très haut en bulles multicolores. Une paix religieuse s’établit. J’attendais, mais je savais déjà quelle serait la réaction. Elle dépassa mon attente. Des premiers rangs, tout en bas — de la zone des places chères, et du cœur même de la corolle géante — montait un chœur de cris fous, désordonnés. La femme rappelée sans cesse, revenait saluer inlassablement… Sans le savoir, j’avais fait la connaissance du fameux Hippodrome de la City.

Ce jour-là, je rentrai toute ravivée par la confiance.


Le temps passe vite que l’on n’emploie pas. Mes journées, seulement illustrées par de menues découvertes, s’écoulaient comme des heures. À mes velléités d’inquiétude, Véral répondait en fataliste : « La date de vos débuts est écrite ! » Il comptait même pour peu de chose que la traduction de mes Mémoires fût encore inachevée.

La paix se refermait sur nous.


Je suppléai au moins en partie à l’irritante obscurité dans laquelle il nous fallait vivre.

À New-York toutes les maisons sont coiffées de plat, elles forment des terrasses toujours accessibles. La nôtre était noire, entourée de vieilles cheminées, encombrée de larges réservoirs, on ne pouvait y marcher sans se prendre les pieds dans des kilomètres de tuyaux de caoutchouc, toujours prêts à lutter contre les incendies quotidiens. Cependant elle me ravissait. J’y montais le matin de bonne heure, quand les fumées s’élèvent droites ; j’y montais l’après-midi, quand les fumées languissent. Monique m’y accompagnait avec un panier, nous y prenions le thé. Je regrettais le crépuscule. Dans les villes américaines l’éclat du jour avant sa chute est remplacé par de folles lumières. En vain j’essayais de saisir les instants qui séparent le jour de la nuit. Sur mes genoux, mon livre ouvert était encore en pleine clarté quand des routes d’argent et d’or sillonnaient les cieux, jetant sur mes pages des lueurs