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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/80

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LA MACHINE À COURAGE

teau. J’alléguais que je n’avais pas chaud malgré une température de 40 degrés à l’ombre. Mais on est gentil dans les offices des businessmen à New-York — il y a partout ce quelque chose de neuf, d’intact qui signale le matin d’une race. Une chaine de sourires m’accompagnait de bureaux en bureaux. Je savais que l’on allait mettre mon dossier dans un tiroir où il subirait le sort des affaires que l’on préfère éviter. Cependant, après chaque station, je marchais avec un nouveau courage, réconfortée par des paroles amicales. Je les rapportais à Monique qui m’attendait en raccommodant pour la N-ième fois mes robes du soir, dans notre appartement brûlant sous son couvercle de zinc.

En vain je retournais à Wall Street et trois semaines plus tard, quand je n’avais pas obtenu un geste de mon avocat, je reprenais mon dossier. J’allais à une nouvelle adresse trouver un nouveau Maître recommandé par de nouveaux amis. C’étaient les mêmes sourires, les mêmes attentes, les mêmes espoirs, la même totale inertie. Aucun avocat ne déclarait franchement qu’il ne se souciait pas de se mesurer avec Hearst.

Un jour, j’allai voir Élisabeth Marbury, rencontrée autrefois à Paris. Elle me conseilla de retirer ma plainte contre le Sunday American et d’écrire des articles. Elle fut d’ailleurs très aimable. Mais comment une grosse femme pouvait-elle être si tranchante…


Je faisais toutes ces démarches automatiquement, ma pensée restait fixée vers la nuit que je passerais sur ma tour. Nuits souveraines malgré leurs étoiles reléguées. Elles me faisaient songer à beaucoup d’autres bien différentes : celles qui dessinaient les ogives d’un cloître que j’aimais, celles qui s’étendaient infinies, nues et noires sur les champs…

Parfois j’attendais l’aube pour voir dans la brume du jour encore endormi les buildings apparaître lentement comme une armée d’icebergs immobiles.

Alors je me moquais un peu de ma guerre dérisoire avec Hearst — lutte d’une fourmi avec un trop gros fétu de paille. En dépit de Hearst et de tout je me sentais libre essentiellement. Je savais qu’une vie nouvelle — faite de ce que j’avais