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L’AMANT DE DOMINIQUE

impression, une simple impression que tu as, née peut-être de ton désir d’y croire. Pourquoi n’en as-tu pas fait immédiatement confidence à Dominique que le doute torturait ? Pourquoi ce secret si inutilement et si longuement gardé ? Pourquoi ne pas avoir dit tout de suite : « C’est moi. » Et pourquoi surtout le dire maintenant, avec tant de retard, comme s’il avait fallu des semaines pour t’en convaincre toi-même ?

Patrice posa sa main sur l’épaule de Richard.

— Je t’en prie, Richard, je m’adresse à l’homme, à l’ami fraternel que tu fus pour moi. Libère ta conscience, libère-nous tous les trois, dis la vérité.

— Richard, je vous en supplie, dit Dominique.

Il les regarda l’un après l’autre. Il baissa la tête, pâle, la face dévastée par une immense douleur, puis il prononça :

— Pardonnez-moi tous les deux. Oui, j’ai mal agi. J’ai affirmé ce dont je n’étais pas sûr. Ce soir-là, dans l’ivresse, j’ai tenté de conquérir ce que je désirais ardemment depuis des années.

« Comprends-moi, Patrice. Mais je ne suis pas sûr, en effet, que dans l’agitation, dans le désordre, dans le trouble des groupes, que Dominique que j’avais saisie un moment, ne m’ait pas échappé. Et réellement, j’ai entendu celle qui était avec moi dire ce mot « Darling » et encore ceci : « Nous ne savons pas ce que nous faisons, tout cela est indigne de nous… » Mais qui prononçait ces mots, ta femme ? ou une femme près de moi ? Nous étions dans l’ombre, l’ivresse brouillait tout. Non, non, c’est vrai, tout cela n’est pas plus certain pour moi qu’une fantasmagorie. Je ne puis rien affirmer de ces sensations flottantes et inachevées. »

Il garda un moment un silence accablé, puis murmura :

— Vous ne pourrez jamais être heureux tant que je vivrai. Et moi je ne serai plus jamais heureux !

— Il faut vivre ! il faut vivre, Richard, s’écria Dominique.

Et elle ajouta cette objurgation égoïste :

— N’ajoutez pas votre mort à nos épreuves.

— Donnez-moi la main tous les deux, murmura-t-il. Et ayez pitié de moi, je suis malheureux, horriblement malheureux !

Ils lui donnèrent la main. Il se dirigea lentement vers le balcon.