de ses idées ; guetté, surveillé, espionné par les trop zélés
habitants de Rennes ; laissé sans ressources par sa famille,
le poète mena encore pendant deux ans une existence
misérable, qui ne fit que renforcer une première teinte de
pessimisme qu’un désespoir d’amour avait, dans son adolescence
à Bourbon, donnée à son esprit. Écœuré de la veulerie et de
l’inanité de ceux qui l’entouraient, il voulut, à deux reprises
différentes, dire leur fait à ces bourgeois dont la suffisance
l’irritait ; il lança ainsi deux journaux : Le Sifflet et le
Scorpion, dont l’un tomba tout simplement au bout de
quelques numéros, tandis que l’autre causait à Rennes toute
une petite affaire d’État. Le Palais dut intervenir et prononça
la condamnation d’un méchant journal qui voulait troubler
la bonne paix de la ville. Alors le poète se retira seul dans
sa chambre avec quelques amis. M. Leconte de Dinan en fut
informé et écrivit à Bourbon que Charles tenait des réunions
séditieuses ; déjà l’on voyait poindre en lui le révolté.
Quoiqu’il n’eût pas produit de modification apparente dans ses idées, le séjour à Rennes avait eu une grande influence sur l’âme de Leconte de Lisle. Là, il s’était aperçu de l’inanité des formes dans lesquelles les sociétés prétendent emprisonner le sentiment religieux ; là il avait aussi ressenti la difficulté et l’inutilité d’une action libérale et désintéressée, d’un effort noble que la stupidité et la mauvaise volonté humaines réduisent le plus souvent à néant. Il voyait que l’égoïsme est dominant dans la vie des hommes guidés, poussés par une force irrésistible : la soif du bonheur ; que la bonté et le dévouement sont des exceptions, que l’homme souffre de toute nécessité, parce qu’il est de sa nature de se faire du mal ; mais aussi que le rêve est grand, que le rêve est bon, parce qu’il console et qu’il fait oublier. Il se prenait