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la jeunesse de leconte de lisle


venait se greffer l’ultramontanisme de Turquety ; aussi est-il facile de reconnaître ces deux courants dans le journal, ce qui en rend la lecture parfois très curieuse et très suggestive. Mais s’il était évident que l’idée sociale devait plaire à Leconte de Lisle, l’autre idée, l’idée de foi aux dogmes formalistes et ennemis de la liberté de l’esprit, ne pouvait évidemment que le froisser dans son libéralisme. Une question se pose donc au lecteur de La Variété : dans quelle mesure Leconte de Lisle aurait-il été catholique ?

Avec les idées républicaines du jeune poète, nous avons signalé ses tendances religieuses, son besoin de quelque chose de supérieur et de divin ; il était naturel que ce besoin s’efforçât de s’identifier avec la doctrine catholique vers laquelle le jeune poète se trouvait ainsi violemment amené. On la connaissait si mal à Bourbon, cette terre si éloignée de la pensée active, de la réalité ! Maintenant il se trouvait à même de la connaître, d’en apprécier la grande valeur morale ; il exaltait dans un poème intitulé Issa Ben Mariam, l’action libératrice du Christ, et il en parlait dans ses articles de critique. Mais mis en présence du dogme inflexible, vers lequel devait l’appeler l’ardeur de ses tendances religieuses, ne pouvant y ajouter foi à cause de la rectitude de sa raison, il devait nécessairement éprouver les angoisses du doute, et se poser le problème du doute ou de la croyance. Ce problème, un autre rédacteur de La Variété, M. Mille, l’avait résolu brutalement en taxant d’orgueil condamnable la folie d’un être qui cherche à comprendre ce qui, en principe, se trouve au-dessus de l’intelligence humaine. Mais Leconte de Lisle l’admire, cet orgueil, qui place la créature en face du créateur et la fait réclamer ses droits. (Lélia dans la Solitude.) Certes cette attitude est noble, mais elle est aussi bien douloureuse ! Oh ! la paix de l’âme, le calme de pouvoir croire !… Peut-être Lélia serait-elle plus heureuse si elle savait se soumettre, imposer silence à la conscience qui se révolte. Mais se soumettra-t-elle jamais ? Renoncera-t-elle à voir réalisée l’aspiration de sa raison ? Il était loisible au lecteur de La Variété de l’espérer pour la tranquillité de son âme ; mais