Page:Leconte de Lisle - Derniers Poèmes, 1895.djvu/266

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offrent en effet le complet épanouissement du génie littéraire de notre nation. Ne suffit-il pas, pour s’en convaincre, de remarquer que ces deux cents années n’ont produit aucun poète lyrique digne de ce nom ? L’admirable auteur de l’Aveugle n’appartient à son temps ni par l’inspiration ni par la facture et la qualité du vers. Après Malherbe, les merveilleux artistes de la Pléiade ont été oubliés ; après J.-B. Rousseau et Le Franc de Pompignan, Victor Hugo ne sera jamais un poète national.

Certes, je l’en glorifie pour ma part. Le titre est beau, porté par Shakspeare et par Dante, mais l’ambition légitime du génie doit y renoncer quand on le décerne à des rimeurs vulgaires, ou pis encore, à des ménétriers d’occasion. Le prince des lyriques contemporains n’a-t-il pas pour fonction supérieure de sonner victorieusement, dans son clairon d’or, les fanfares éclatantes de l’âme humaine en face de la beauté et de la force naturelles ? Un souffle de cette vigueur mettrait en pièces les mirlitons nationaux si chers aux oreilles obstruées de refrains de guinguette.

L’œuvre de cet homme, à qui nous devons tant, nous tous qui possédons l’amour du beau et la haine solide de la platitude et de la banalité, œuvre immense déjà et sans cesse en voie d’accroissement, nous offre le spectacle d’un esprit très mâle et très individuel, se dégageant de haute lutte, et par bonds, des entraves communes, toujours plus certain du but marqué, embrassant d’année en année une plus large sphère par le débordement magnifique de ses qualités natives et de ses défauts aussi extraordinaires, mais qui, par leur nature même, com-