Page:Leconte de Lisle - Discours, 1887.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 14 —

ici comme il conviendrait, ces œuvres multipliées où l’intarissable génie du Poète se déploie avec la même force démesurée. Torquemada, cependant, moins un drame scénique qu’un poème dialogué, offre une conception particulière qui, pour n’être pas d’une exacte théologie, n’en est que plus originale. Certes, en brûlant par milliers ses misérables victimes, le vrai Torquemada, le grand Inquisiteur du XVe siècle, ne pensait en aucune façon les mener à la béatitude céleste. Il tenait uniquement à les exterminer, en leur donnant sur la terre un avant-goût des flammes éternelles. Mais Victor Hugo a développé son étrange conception avec tant de verve, d’éloquence et de couleur, qu’il faut le remercier, au nom de la Poésie, d’avoir prêté cette charité terrible à cet insensé féroce qui puisait la haine de l’humanité dans l’imbécillité d’une foi monstrueuse.

Dès les brillantes années de sa jeunesse, et concurremment avec ses poèmes et ses romans qui sont aussi des poèmes, doué qu’il était déjà d’une activité intellectuelle que le temps devait accroître encore, Victor Hugo avait révélé dans ses drames une action et une langue théâtrales nouvelles. Quand ces vers d’or sonnèrent pour la première fois sur la scène, quand ces explosions d’héroïsme, de tendresse, de passion, éclatèrent soudainement, enthousiasmant les uns, irritant la critique peu accoutumée à de telles audaces, et soulevant même des haines personnelles, les esprits les plus avertis parmi