Page:Leconte de Lisle - L’Oppression et l’Indigence, paru dans La Démocratie pacifique, 29 novembre 1846.djvu/3

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L’oppression ! c’est vraiment le fléau par excellence, père de l’abrutissement et de la misère. Que de nations fières, à juste titre, d’un passé héroïque et d’immenses services rendus à l’humanité, sont là plongées sous le joug, pieds et poings liés. Que d’illustres victimes sont tombées sous cette force inintelligente ! Et chez les peuples mêmes qui marchent en tête de la civilisation, les plus éclairés et les plus raffinés, que de crimes multipliés par elle, que d’attentats incessants, de tout ordre, de tout degré, sortis de cette source impure !

L’oppression ! c’est le Briarée moderne, aux cent têtes, aux cent bras, aux cent pieds ; sa pensée embrasse tout, sa force lui soumet tout, elle est présente partout. Un dernier moyen de domination lui avait manqué jusqu’ici ; ce moyen elle l’a conquis, et plus rien ne lui peut résister.

Elle a bâti de grands temples pour le dieu nouveau dont elle promulgue les oracles, et les cultes passés ont vu leur gloire pâlir devant cette gloire d’hier. L’argent a détrôné les dieux anciens.

Heureux les prêtres de l’argent, les autocrates du monde civilisé !

Ils disent que la vie des peuples vient d’eux ; mais nous savons qu’elle retourne à eux et qu’ils l’absorbent. Nous les avons vus glaner sur les champs de bataille et s’engraisser du sang et de la chair des nations expirantes ; nous verrons bientôt s’entre-vendre et s’entre-acheter les hommes comme un bétail ; car pourquoi leur puissance s’arrêterait-elle dans ses envahissements ? qui opposera une digue à cette mer, puisque tous tendent aveuglément, par incurie, par lâcheté, par faiblesse, à élargir ce lit démesuré qui bientôt n’aura pour limite que celles du globe ?

C’est l’oppression qui a inauguré le culte du dieu-argent ; c’est elle qui sacrifiera des victimes humaines aux pieds de ses autels.