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phalya-mani

— Tu seras la femme du génie Mahâmaraka, qui règne sur les neiges de l’Himavat. —

Et, la laissant gémir au fond de la caverne, il s’élança dans l’air noir, à travers la neige qui tombait abondamment sur les pics solitaires de la montagne, cherchant à découvrir les traces du jeune Radjah, afin de lui tendre des embûches et de le faire périr. Et, planant comme le Rok, par delà les nues glacées, il regarda toute la terre, du Népâl à Launka, et ses yeux étaient comme deux lunes rouges mais il ne vit point le jeune homme, grâce aux Dêvas, car celui-ci avait pensé dans son cœur :

— Je reverrai la Fleur du Madhyadeça avant de mourir. —

Et il avait quitté les plaines du Dekkân, et il errait dans les gorges de l’Himavat où miaulent les tigres ; mais le démon Mahâmaraka ne le vit point.

Suryâ s’était plongé trois fois dans les grandes eaux, et le jeune guerrier marchait depuis trois jours à travers la montagne, quand il arriva au bord d’un abîme profond. Ce gouffre s’étendait à droite et à gauche aussi loin que le regard pouvait porter, et il n’y avait aucun sentier qui y descendit. Tandis que le Radjah hésitait, songeant à retourner sur ses pas, une voix suppliante cria du fond de l’abîme :

— Vyâghrâ ! Vyâghrâ !

Il se pencha et vit un beau génie Jama, ami des hommes, lié par des lianes noueuses à un rocher énorme :

— Ô génie, ami des hommes, pourquoi es-tu ainsi lié ? Que me veux-tu ?

Le génie Jama lui répondit :

— Les cruels Marakas, qui habitent les cimes de l’Himavat, m’ont lié, grâce au sommeil qui m’a surpris. Si j’eusse été éveillé, cela ne serait point arrivé, car ma force est bien supérieure à la leur ; mais il est dit qu’un génie Jama, lié pendant son sommeil par les Marakas, ne peut ni briser ses liens, ni punir ses ennemis qu’à l’aide d’un homme brave et généreux. Cela est juste. Quand nous dormons, nous ne pouvons veiller sur les hommes que nous aimons.

Vyâghrâ voulut de nouveau descendre au fond de l’abîme où le génie était lié, mais les parois étaient verticales et il n’y pendait même pas une liane. Voyant cela, il s’élança courageusement dans le gouffre. Aussitôt, le beau génie, rejetant ses liens factices, vola au-devant de lui et l’emporta vers l’autre bord, où il le déposa sur la mousse. Et alors, il lui dit :

— Ceux qui racontent que ton cœur est ferme et transparent comme le diamant disent vrai. Mon nom est Atouli-Jama. Retourne auprès du saint Radjah Aryâmân, et si, bientôt, tu as besoin de mon aide, crie trois fois mon nom. Va.

Et le jeune guerrier, poursuivant sa route, entra, après dix journées de marche, dans la demeure royale d’Aryâmân, afin d’implorer le pardon du frère de son père et de revoir la Fleur du Madhyadeça. Mais le Pandavaïde ne priait pas ce jour-là, et son esprit n’était pas absorbé par la contemplation intérieure, et il pleurait sa fille disparue. Dès qu’il eut aperçu le fils de son frère, ses yeux jetèrent des flammes, et il s’écria, en étendant le pouce ouvert de sa main droite fermée :

— Enfant des dix péchés maudits ! race de Divi foudroyée par Çiva ! Que n’es-tu venu au monde dans le temps où la farouche Dîthi proscrivît tous les mâles nouveau-nés ! Ô ravisseur de ma félicité, viens-tu insulter à ma douleur ? où as-tu caché Phalya-Mani, la Perle du monde ?

Vyâghrâ resta muet, ne sachant point l’enlèvement de la Fleur du