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LA MORT DE SIGURD.


Herborga, sur son dos jetant ses cheveux bruns,
S’écrie à haute voix : — Ta peine est grande, certes,
Ô femme ! mais il est de plus amères pertes ;
J’ai subi plus de maux chez les cavaliers Huns.

Hélas ! n’ai-je point vu les torches et les glaives ?
Mes frères égorgés, rougissant nos vallons
De leurs membres liés aux crins des étalons,
Et leurs crânes pendus à l’arçon des Suèves ?

Moi-même, un chef m’a prise, et j’ai, durant six ans,
Sous sa tente de peaux nettoyé sa chaussure.
Vois ! n’ai-je point gardé l’immonde flétrissure
Du fouet de l’esclavage et des liens cuisants ? —

Herborga s’étant tue, Ullranda dit : — Ô Reines,
Que votre mal, auprès de mes maux, est léger !
Ne dormirai-je point sous un sol étranger,
Exilée à jamais de nos plages Norraines ?

N’ai-je point vu mes fils, ivres des hautes mers,
Tendre la voile pleine au souffle âpre des brises ?
Ils ne reviendront plus baiser mes tresses grises :
Mes enfants sont couchés dans les limons amers !

Ô femmes ! aujourd’hui que je suis vieille et seule,
Que l’angoisse a brisé mon cœur, courbé mon dos,
Je ne verrai jamais la moelle de mes os,
Mes petits-fils sourire à leur mourante aïeule ! —