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POÈMES BARBARES.

La mer était sereine, et sur la houle claire
L’aube vive dardait sa flèche de lumière ;
La montagne nageait dans l’air éblouissant
Avec ses verts coteaux de maïs mûrissant,
Et ses cônes d’azur, et ses forêts bercées
Aux brises du matin sur les flots élancées ;
Et l’île, rougissante et lasse du sommeil,
Chantait et souriait aux baisers du soleil.

Ô jeunesse sacrée, irréparable joie,
Félicité perdue, où l’âme en pleurs se noie !
Ô lumière, ô fraîcheur des monts calmes et bleus,
Des coteaux et des bois feuillages onduleux,
Aube d’un jour divin, chant des mers fortunées,
Florissante vigueur de mes belles années…
Vous vivez, vous chantez, vous palpitez encor,
Saintes réalités, dans vos horizons d’or !
Mais, ô nature, ô ciel, flots sacrés, monts sublimes,
Bois dont les vents amis font murmurer les cimes,
Formes de l’idéal, magnifiques aux yeux,
Vous avez disparu de mon cœur oublieux !
Et voici que, lassé de voluptés amères,
Haletant du désir de mes mille chimères,
Hélas ! j’ai désappris les hymnes d’autrefois,
Et que mes dieux trahis n’entendent plus ma voix.