Page:Leconte de Lisle - Poèmes barbares.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
POÈMES BARBARES.


Ainsi parle Iñigo. Don Rui tire sa lame
Et lui fend la cervelle en deux jusques à l’âme.
L’autre s’abat à la renverse, éclaboussant
Sa mule et le chemin des flaques de son sang.
Et chacun s’émerveille, et crie, et s’évertue :
— Holà ! – Jésus ! – Tombons sur l’homme ! – Alerte ! – Tue !
— Haut les dagues ! — Par Dieu ! Toque et crâne, du coup,
Sont fendus jusqu’aux dents. — En avant ! Sus au loup !

— Saint Jacques ! dit le Roi tout surpris, cette épée,
Si lourd que soit le poing, est rudement trempée !
Mais ceci m’est fâcheux et j’en suis affligé.
Don Iñigo, ce semble, est fort endommagé ;
Il gît, blême et muet, et sans doute il expire.
Rengaine ton estoc, don Rui, si tu n’es pire
Que le Diable et Mahom, très féroces tous deux.
— Voilà ce que l’on gagne aux propos hasardeux,
Dit Rui Diaz. Ce seigneur eut la langue un peu vive. —

Puis, sans s’inquiéter qu’on le blâme ou poursuive,
Avec ses fidalgos, devers Calatrava,
Le bon Campeador tourne bride et s’en va.