Page:Lectures romanesques, No 159, 1907.djvu/19

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portait dans ses bras et te tendit à moi en prononçant quelques paroles, et pendant que délirante de joie, je te mangeais de caresses, cet être généreux, dont jamais je n’oublierai le loyal regard rempli de larmes, disparut… Il disparut, ma Loïse, mais sa rude et franche physionomie est restée dans ma mémoire… Tu sais combien je vénère cet homme ; tu sais que la gratitude que je lui ai vouée est égale à l’horreur que m’inspire l’abominable Pardaillan… Or, écoute maintenant… Je te pris dans mes bras et je partis pour Paris. Je ne songeais pas alors que j’étais sans ressources, comme aujourd’hui !… Dans la forêt, je fus rejointe par un cavalier… M’ayant interrogée, ayant compris que je ne possédais rien au monde, ce généreux cavalier déposa sur ta poitrine ce beau diamant, ce présent dont la richesse est dépassée à mes yeux par la richesse de cœur de celui qui me l’offrit… qui nous l’offrit… Ce cavalier, Loïse, c’était lui ! C’était l’homme qui t’avait ramenée dans mes bras !

— Vous me l’avez dit, mère !

— Dans la misère où je me trouvai alors, je ne voulus jamais me défaire de ce diamant qui me rappelait le généreux inconnu. C’est tout ce que j’ai de lui, puisque je ne sais même pas son nom… le diamant, Loïse, nous le garderons pieusement.

— Oui, mère… vous avez raison.

— Et puis, écoute, mon enfant… qui sait si un jour, il ne servira pas à te faire reconnaître de cet homme au cœur d’or… Si je n’étais plus là… Si je mourais…

— Mère !… s’écria Loïse dans un cri déchirant.

— Calme-toi, ma chérie. J’espère vivre encore assez pour te voir heureuse… mais, enfin, si ce malheur t’arrivait d’être privée de ta mère avant l’heure…

— Mère, mère, taisez-vous, vous me brisez le cœur…

— Eh bien, il se pourrait que ce diamant te servît alors, soit que tu le vendes, soit qu’il te fasse reconnaître de ce digne ami inconnu qui, j’en suis sûre, te viendrait en aide… Gardons-le, mon enfant… Allons… partons…

À ce moment, Alice de Lux reparut devant Jeanne de Piennes.

— Madame, dit-elle d’une voix altérée, pardonnez-moi d’avoir entendu une partie de votre entretien ; je ne dis pas que je l’ai entendu malgré moi… j’ai écouté… ceci est un des malheurs de ma vie : j’ai pris, j’ai dû prendre l’habitude d’écouter autour de moi…

Une larme glissa sur les joues pâles de l’espionne. Jeanne considérait cette malheureuse avec une sorte de terreur. Qu’était-ce que cette étrange femme qui avait dû prendre l’habitude d’écouter autour d’elle !…

— Quoi qu’il en soit, continua avec effort Alice de Lux, j’ai entendu. Vous vous trouvez sans ressources, j’aurais dû y songer ; je suis riche, madame, plus riche que je ne le voudrais ; je possède deux ou trois maisons dans Paris. Voulez-vous accepter l’une d’elles pour refuge ?

Une hésitation retint Jeanne de Piennes.

— Malheureuse ! balbutia Alice, ne doivent-elles pas penser que mon offre cache un guet-apens !…

— Non, non, madame, s’écria la dame en noir ; je vous jure que cette affreuse pensée ne peut me venir ! Je devine, je comprends que vous devez risquer beaucoup pour nous mettre en liberté ; j’ai donc pleine confiance en vous…

— Alors ? murmura Alice. Oh ! si vous pensez me devoir quelque gratitude, laissez-moi la joie de faire un peu de bien… Et puisque vous n’acceptez pas d’habiter l’une des maisons que je possède, puisque j’ai eu tort moi-même de vous faire une proposition qui doit vous inspirer une juste défiance, acceptez au moins ceci.

À ces mots, elle déposa sur le coin d’une table une bourse qui pouvait contenir une centaine d’écus d’or. Une vive rougeur empourpra le visage de Jeanne de Piennes.

Loïse se détourna avec embarras. Alice s’agenouilla.

— Madame, dit-elle d’une voix brisée, c’est une mourante qui vous offre ce peu d’or destiné à rendre moins durs à cette noble demoiselle les premiers temps…

Jeanne regarda sa fille et tressaillit.

— Je vous ai fait tant de mal, continua Alice, en acceptant de vous garder ici détenues, que j’en ai comme le cœur rongé. Je vous jure que vous adoucirez les derniers jours d’une malheureuse en recevant ce faible présent. Car si vous le recevez, alors, madame, je croirai que vous m’avez pardonné…

Jeanne de Piennes laissa tomber sur la geôlière, un regard d’infinie miséricorde. Une dernière hésitation l’arrêta un instant. Mais la générosité l’emportant en son cœur, elle tendit ses deux mains à Alice qui les saisit et les baisa ardemment. Jeanne alors prit la bourse.

Elle voulut dire quelques paroles d’adieu à cette étrange geôlière pour qui elle n’éprouvait plus que de la pitié, mais déjà Alice s’était relevée et, silencieusement, avait disparu.

— Partons ! dit alors Jeanne.