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Polonais. Ils faisaient un effet prodigieux lorsque, par rangs de trois, ils traversaient la ville. Malheureusement, le prestige de cette exhibition était un peu diminué par le costume très civil et parfois rapé des professeurs qu’on n’avait pas osé soumettre au port du fameux uniforme.

Présenté au directeur de l’établissement sur la recommandation d’un inspecteur d’Académie, j’avais été l’objet du plus minutieux examen sur le degré de mes connaissances en algèbre et en géométrie.

— Voyez-vous, jeune homme — me dit le majestueux personnage — j’ai besoin d’un professeur capable et consciencieux qui fasse faire de rapides progrès aux enfants dont on me confie l’éducation. Or, pour cela, il faut de la méthode… de la méthode… tout est là !… et je suis très exigeant sous ce rapport.

C’est presque en tremblant que j’avais accepté ce poste. Je me demandais avec inquiétude si je serais à la hauteur de ma mission et si vraiment ce n’était pas trop audacieux de courir, pour mes débuts, une telle aventure.

Avant l’heure de ma première leçon, je m’abouche avec le « Préfet des Études » et, très timidement, je le prie de vouloir bien me dire à quelle partie du cours de géométrie — c’était le jour — mon prédécesseur avait laissé les élèves.

— Ah ! vous êtes le nouveau ? Asseyez-vous, je vous prie. Je vais regarder le livre.

Se dirigeant alors vers un rayon portant indication de la classe à laquelle il correspond, le « préfet » en tire un misérable petit livre, graisseux et presque en lambeaux. C’était un de ces mauvais traités, fort en usage alors et qui, sous le nom de résumés, ne contenaient que d’insipides et sèches définitions. Ils avaient été inventés par un certain abbé Gauthier, très louangé en ce temps-là par les pédagogues à la recherche d’une instruction dite populaire, mais surtout rapide et à bon marché.