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tière placé au chevet de l’église, comme c’est fréquemment l’usage dans les campagnes.

Quelques gas du pays — des amoureux, sans doute — m’avaient aperçu à plusieurs reprises, de loin bien entendu, car pour rien au monde ils ne se fussent dirigés de ce côté à pareille heure.

Ils ne manquèrent pas d’en gloser, et bientôt le village et les environs en furent instruits. Il n’en fallait pas plus pour que bien décidément ils vissent un personnage étrange dans « Monsieur le Maître ». Je fus promu au titre de sorcier.

Fort heureusement le maire, dont j’avais fait la conquête en lui donnant quelques renseignements utiles pour tenir ses comptes, m’avertit de ces bruits fâcheux.

Sans doute, il ne dépendait pas de moi de les faire cesser quant à la pénurie de vêtements, mais jugeant inutile d’augmenter les difficultés de ma situation, je me résignai à me promener désormais sur la grande route, au risque de déranger les couples que j’y rencontrais parfois dans des attitudes non équivoques.

Après tout, c’était la juste punition de leurs stupides bavardages.



Malgré cette concession, le coup était porté et le curé. ne pouvait manquer d’en tirer parti contre moi,

Ce qui m’exaspérait le plus dans cette histoire, c’était que j’avais pu constater qu’à l’exception de quelques vieilles bigotes, nul dans le pays n’avait la moindre croyance religieuse.

M’étant quelquefois, le dimanche, tenu sous le porche de l’église, ainsi que le font d’habitude tous les hommes du village, j’avais entendu ceux-ci plaisanter le curé et les cérémonies de la façon la plus leste. Ou bien, c’étaient d’interminables causeries — à voix quasi-haute — sur le marché de la veille, la foire prochaine, le prix qu’on avait vendu ses denrées, le bétail qu’on