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ALBUM DE LA MINERVE.

Peyron. Vous pouvez empêcher un crime si vous voulez et sauver une famille.

Soyez prudent, car Gilles et Pétrini sont capables de tout.

Brûlez cette lettre, elle est d’un honnête homme qu’ils peuvent tuer pour se venger.

C’est la conscience qui me fait écrire. »

La lettre ne portait pas de signature. D’abord, Gustave pensa que ce pouvait être une mystification ou bien une basse vengeance de la part de quelques ennemis de Pétrini.

Son âme loyale se révolta, et il fut sur le point de jeter la lettre au feu pour ne plus s’en occuper.

Cependant, en la relisant une seconde fois, il lui sembla qu’il y avait dans ces simples mots, un accent dont il ne pût se défendre.

— Je verrai bien se dit-il, et la première fois que je rencontrerai le Docteur et Gilles, je les surveillerai.

Cette résolution prise, il se sentit plus calme et se remit à sa fenêtre pour rêver au clair des étoiles. Avouons que nous avons souvent fait comme lui.

CHAP. XII.

Quoiqu’il ne voulût pas le laisser paraître, Gustave Laurens, avait la mort dans l’âme.

Il eût supporté facilement l’aversion de Maximus ; mais l’indifférence d’Ernestine l’accablait.

Le découragement commençait à s’emparer de lui.

Il se disait que la jeune fille ne l’aimait pas et que cet amour pur et candide dont il avait rêvé n’était plus pour lui qu’une illusion perdue et violemment arrachée de son cœur par Giacomo Pétrini.

Parfois, il lui prenait de folles envies de provoquer cet homme et de l’immoler à sa passion. Puis il se demandait si ce sang n’eût pas été entre lui et la jeune fille un obstacle insurmontable ; il se représentait Ernestine détournant ses regards avec horreur et montrant sur son front la tache de l’homicide.

Au milieu de ces tristes pensées il n’avait plus le courage de retourner chez Maximus ; mais chaque soir, il montait à cheval et allait faire une course dans les environs de Mont-Rouge.

Tantôt il enfonçait les éperons dans les flancs de sa monture et galopait pendant des heures, à travers les champs, la tête en feu et les cheveux trempés de sueur ; tantôt il laissait flotter les rênes sur le cou de son cheval et le front penché, perdu dans une sombre méditation, il errait au hasard jusqu’à ce qu’un incident quelconque vînt le tirer de sa rêverie. Souvent, il s’arrêtait devant les fenêtres d’Ernestine ; il cherchait à distinguer la silhouette de la jeune fille derrière les rideaux de mousseline blanche. Il eût donné tout au monde pour pouvoir la contempler un instant, lui faire savoir qu’il était là, qu’il l’aimait et qu’en retour, il ne demandait qu’un sourire, qu’un regard, fût-ce un regard de pitié.

Un soir, après une de ces excursions, il s’en revenait pensif, au pas de sa monture. La nuit était noire ; pas le moindre clair de lune, pas une étoile au ciel ; il laissait son cheval choisir lui-même sa route. Lui, rêvait d’Ernestine et des moyens de lui faire savoir son amour.

Soudain la détonation d’une arme à feu retentit sur la lisière de la forêt, suivie d’un long cri d’angoisse et de détresse. Au même instant une forme humaine bondit sur la route et vint rouler dans la poussière à quelque pas de lui.

Laurens était brave.

Il sauta à terre, arma un pistolet, qu’il portait toujours sur lui, et prêta l’oreille, cherchant à sonder les profondeurs de la nuit.

Au bout de quelques instants un bruit se fit entendre dans le taillis.

— Il doit être mort disait une voix ; j’ai visé à la tête et je ne manque jamais mon coup.

— Et comment as-tou pou viser, répondit une autre voix, avec un fort accent napolitain ; il fait noir comme li loups ; aussi vrai comme jà saouis marquis.

— C’est parbleu vrai, Altesse, ce que tu dis là ; mais j’ai vu le feu de sa pipe. En tous cas, s’il n’est pas mort, ce n’est que partie remise, cherchons toujours il doit être tombé par ici.

Corpo di Bacco ! jà crois ché voilà la carogne, dit le napolitain en se baissant vivement pour palper un corps mou contre lequel il avait trébuché.

Son compagnon imita ce mouvement.

— Vous rêvez marquis, dit-il en se relevant ; tu ne vois donc pas, mon brave que c’est un arbre pourri !

— Eh bienne, Eh bienne, André, oune peut se tromper : Errare humanum est. Il était lettré ce noble napolitain, — tou t’es, bienne trompé en visant.

André porta son poing à deux pouces du nez du marquis. Heureusement l’obscurité partielle ou son caractère prudent empêcha ce dernier de remarquer ce geste peu amical.

— Allumez la chandelle, Altesse, continua André ; peut-être trouverez-vous que je n’ai pas manqué comme vous le dites.

L’idée né manque pas de jioustesse. Tou as raison.