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ALBUM DE LA MINERVE.

— Oh je ne puis pas vous remercier comme je le voudrais, dit Giacomo en prenant la main de Maximus dans les siennes, mais je vous prouverai ma reconnaissance en la rendant heureuse, je vous le jure !

Le lendemain, dans l’après midi, Gustave Laurens sonnait à la porte et demandait Mademoiselle Moulins.

— Mademoiselle est au salon, dit le domestique, donnez-vous la peine de monter, le temps seulement de la prévenir de votre visite.

Ernestine était seule, Maximus et Céleste étaient au jardin.

— Mademoiselle, dit Gustave, je dois partir sous peu de jours. Vous n’ignorez pas l’intérêt que je vous porte, et s’il ne m’est pas permis de vous parler d’un autre sentiment je puis bien vous demander n’est-ce pas si vous croyez à toute la sincérité de mon amitié.

— Je vous assure, monsieur, que cette amitié m’honore beaucoup, et d’autant plus que je ne sache pas avoir rien fait pour la mériter.

— Il me semble mademoiselle que vous oubliez un peu nos bonnes relations d’autrefois ; je ne m’en plains pas ; je n’ai pas ce droit ; mais il m’est bien permis d’en être peiné.

— Je vous assure, monsieur, que je me suis toujours souvenue de vous avec plaisir. Mais vous avez franchement aujourd’hui des façons solennelles qui m’effrayent. Voyons, vous avez quelque chose à me dire ?

— Oui, et quelque chose de sérieux et de difficile en même temps ; c’est pourquoi je vous demandais tout à l’heure si vous croyez à toute mon amitié.

Je veux vous parler de Monsieur Pétrini. Ernestine ne put s’empêcher de laisser paraître une légère émotion.

Gustave continua.

— Je regrette d’avoir peut-être à froisser vos sentiments ; ce que j’ai à vous dire n’est pas tout à fait en sa faveur.

— Dans ce cas, Monsieur, dit Ernestine d’un air un peu hautain, peut-être feriez-vous mieux de vous adresser à mon tuteur à qui il appartient d’être éclaité sur ceux qu’il reçoit chez lui, et qui pourra d’ailleurs avoir avec ce Monsieur une explication qu’il me serait impossible de rechercher moi-même.

— De grâce, mademoiselle, ne vous hâtez pas trop de me juger. Je ne suis pas venu ici sans calculer les conséquences de ma démarche ; je sais qu’en apparence ma position est fausse, indélicate même : j’ai pensé à tout cela et je l’ai pesé en moi même ; mais je n’hésiterai pas en présence de ce que je considère comme un devoir.

Mademoiselle, Pétrini n’est digne ni de vous ni de votre famille, lui et son digne compagnon Gilles Peyron sont deux infâmes.

— Assez ! Monsieur, dit Ernestine en se levant ; je ne puis ni ne dois en entendre davantage, et vous m’avez singulièrement mal jugée en me croyant capable de recevoir de semblables confidences.

Gustave s’était levé en même temps qu’elle. Sa figure était devenue d’une pâleur effrayante.

— Ernestine ! dit-il en ployant un genou devant elle, de grâce ! encore une fois, ne vous hâtez pas de me juger. Je ne suis ni le lâche qui frappe par derrière, ni le délateur qui sème la calomnie dans l’ombre. Les circonstances ne me permettent pas d’en agir autrement que je le fais aujourd’hui. Quelqu’étrange que puisse paraître ce mot dans ma position présente, c’est l’honneur, l’honneur seul et mon amitié pour vous qui m’a commandé cette démarche. L’amitié, non pas l’amitié, l’amour, devrais-je dire, cet amour, le premier et le seul qui ait jamais fait battre le cœur, qui le dévore, qui le consume. Oh ! ne me méprisez pas, ne me regardez pas de cet air irrité ! si vous saviez combien je souffre ! et combien je suis malheureux, vous auriez pitié de moi !

Gustave s’était relevé, les larmes dans la voix et la figure toute bouleversée ; il se laissa tomber sur un fauteuil et cacha son front dans ses mains.

— Monsieur, dit Ernestine, avec moins de colère car au fond, la déclaration de tels sentiments de la part d’un jeune homme touche toujours, je ne veux pas m’offenser de tout ce que vous venez de dire ; mais vous avouerez que votre conduite n’est pas convenable ; c’est le moins que je puisse dire. Si vous recherchez ma main, il faut d’abord obtenir l’aveu de mon tuteur et, tenez le voiet justement qui se dirige de ce côté, je vous laisse à lui.

Maximus arrivait en effet avec Céleste ; il paraissait d’une humeur excellente.

Ernestine disparut par une porte donnant sur le couloir et presqu’au même moment Gustave se trouvait en présence du digne châtelain et de sa sœur.

— Tiens, monsieur Laurens, dit Maximus, mais nous vous croyions parti.

— Pas encore monsieur, mais je dois partir bientôt et cette visite pourrait bien être à mon grand regret, une visite d’adieu.

— Ah ! Ah ! dam ! un militaire, il faut toujours que cela soit prêt à lever le camp d’un moment à l’autre, je n’aimerais pas ce genre de vie là moi. Eh ! Eh !

— Il était d’une humeur charmante l’honnête rentier.