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III

Ce qui me frappe le plus dans l’œuvre de Vauvenargues, c’est la différence profonde qui le sépare des autres moralistes.

Les maximes de La Rochefoucauld sont un chef-d’œuvre d’esprit et de style ; mais, à voir la façon dont elles ont été faites, il est bien difficile de prendre ce livre si sérieux... au sérieux. Un grand seigneur, qui se trouve être un grand écrivain, fourbit le matin, dans son cabinet, de petits dards acérés, voire un peu empoisonnés ; il les apporte le soir à de belles dames, qui les aiguisent et les affinent encore avec lui, les cisèlent, les agrémentent, et de ce pessimisme en collaboration sort un traité de morale de salon, qui trouble plus qu’il n’éclaire.

Bien autrement sérieux sont les Caractères de La Bruyère, mais là encore on se trouve en face d’un livre purement livresque ; l’auteur reste toujours un auteur. Il voit, il observe, il note, il décrit ; son coup d’œil est perçant, sa plume est merveilleuse, mais où est l’âme ? Où est la vie ? Où est l’homme ?

L’œuvre de Vauvenargues est l’homme même, l’homme tout entier.