Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/151

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un mot dans le chœur qui accompagne le pas de danse de Mlle Taglioni. Vous avez mis :


Toi que l’aiglon ne suivrait pas.


J’y ai substitué :


Toi que l’oiseau ne suivrait pas.


— Ah ! que vous avez bien fait ! s’écrie M. de Jouy. L’aiglon ! comme c’est dansant ! ― Mais alors, reprit Rossini en riant, pourquoi l’avez-vous mis, cet aiglon ? ― Ce n’est pas moi ! s’écria M. de Jouy, c’est cet imbécile d’Hippolyte Bis. ― Mais alors, reprit Rossini riant toujours, pourquoi l’avez-vous pris pour collaborateur cet imbécile d’Hippolyte Bis ? ― Pourquoi ? pourquoi ? Par faiblesse, par bonté ; on m’a dit qu’il était pauvre, qu’il avait du talent, qu’il avait fait une tragédie sur Attila, à l’Odéon !… Je ne l’ai pas vue sa tragédie !… mais on me citait toujours un vers, qu’on trouvait sublime… Ses regards affamés dévoraient l’univers !

— Ce sont ces diables de regards affamés qui ont fait tout le mal. Hippolyte Bis m’appelait grand poète ! Je me suis laissé entortiller ; et il a jeté dans notre livret un tas de vers qui me déshonoreront dans la postérité la plus reculée. Car il n’y a pas à dire ! Grâce à vous, me voilà immortel !… Tant qu’il y aura un opéra on chantera des vers comme celui-ci :

 
Aux reptiles je l’abandonne
Et leur horrible faim lui répond d’un tombeau !


Et ils sont signés : Jouy ! Ah ! le scélérat ! »