Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/158

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fenêtre, et, le lendemain, il fut exilé à bord d’un vaisseau, au Havre, pour avoir manqué de respect à un membre de la famille régnante !

J’entends d’ici l’objection. Vous nous peignez bien son caractère, me dira-t-on ; ses œuvres ? ses titres littéraires ? Il était de l’Académie française. Qu’a-t-il fait ? Ce qu’il a fait ! Il a fait de tout et il a réussi en tout ! Il a fait des opéras-comiques qui ont eu deux cents représentations, comme les Voitures versées, et Picaros et Diego ; des vaudevilles restés légendaires comme la Leçon de botanique : des comédies en cinq actes et en vers applaudies au Théâtre-Français, comme la Prison militaire. Les articles les plus brillants de la Minerve étaient de lui. Ses discours au Conservatoire, dans les séances publiques de la Société des Enfants d’Apollon, étaient attendus comme des airs de Garat. J’ai assisté souvent à ces réunions, et je le vois encore arriver dans le vestibule à colonnade rempli de monde, avec sa figure fine, sa petite lumière railleuse au coin de l’œil, ses lèvres minces malicieusement serrées, jouant avec son jabot, relevant son petit toupet frisé, baisant la main des femmes qui l’entouraient, car il y en avait toujours une foule auprès de lui, et montant ensuite tout pimpant et coquet, sur l’estrade où ses mots spirituels et railleurs faisaient feu à tout coup ! Sa conversation était brillante et amusante comme son discours. Il amalgamait comme personne le sel et le sucre ; il se sauvait de la fadeur avec la moquerie. Je l’ai entendu un jour, à dîner chez moi, dire à Ancelot, célèbre par son amour-propre : « Mon cher Ancelot, je fais grand cas