Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/16

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hier. A peine assis, je devins, de la part des personnes qui nous environnaient, l’objet d’une attention et d’un intérêt qu’expliquaient mon âge, mon deuil et ma mine assez chétive. J’entendais murmurer autour de moi : « Pauvre petit ! » Une dame s’approcha de mes parents, leur parla et m’embrassa sur le front avec un air de compassion.

La séance commença. Elle dura deux heures, et ne me parut pas longue. Pourtant les deux orateurs traitaient de sujets fort au-dessus de mon âge, et leur langage très orné, selon le goût du temps, ne rentrait guère dans le vocabulaire d’un enfant de six ans. Mais le nom de mon père revenait souvent ; j’entendais citer les titres de ses ouvrages, que mes parents m’avaient religieusement appris ; les applaudissements du public accueillaient des éloges de lui, des mots et des traits de lui. Plus d’une fois même, M. Regnault de Saint-Jean d’Angély, dans sa réponse, se tourna vers moi, parla de moi, me désignait à l’auditoire en termes affectueux et compatissants. Tout cela m’embarrassait en me touchant. Je me sentais mis en scène. Je baissais le nez sur ma petite casquette d’écolier. Le cœur me battait très fort. Sans doute, ces mots… faible rejeton, protection tutélaire de l’Académie, étaient des termes bien vagues pour moi ; mais les enfants sont comme les gens du peuple, ils n’ont pas besoin de comprendre tout à fait pour être émus. Parfois même ils sont d’autant plus émus qu’ils ne perçoivent les choses qu’à travers un voile. Le mystère ajoute à leur impression ; leur imagination la complète ; et l’effet de cette séance fut