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voir, car, hors le jeudi, je suis presque toujours en courses, ce qui me fait presque craindre la visite que vous voulez bien me promettre, si vous n’avez pas la bonté de me prévenir du jour. J’aurai une ressource au reste, monsieur, ce sera d’aller vous chercher à domicile pour vous exprimer tous mes sincères sentiments de cordialité et d’intérêt le plus vif.

Votre très humble serviteur

Béranger

30 octrobre 1829.


Voici sa seconde lettre. Un volume de poésies, que je publiai sous ce titre : les Morts bizarres, en fut l’occasion. Je l’avais envoyé à Béranger en lui demandant ses conseils. Il me répondit :


Monsieur,

La manière la plus adroite de se faire louer par la plupart des hommes, et surtout par ceux qui commencent à vieillir, c’est de leur demander des conseils. Ce n’est pourtant pas dans ce but, j’en suis sûr, que vous réclamez mes avis. Si j’avais une pareille idée, vous en pourriez appeler à la candeur empreinte dans vos vers. Aussi, monsieur, puisque vous en appelez à ma franchise, ne vous louerai-je qu’avec parcimonie.

J’aime extrêmement l’élégie à la mémoire de votre père. Le sentiment qui y domine la rend touchante du premier jusqu’au dernier vers. Je n’y voudrais pas plus de correction : un style plus travaillé, des formes plus concises y gêneraient l’expression de votre âme et contrasteraient péniblement avec elle.

Mais il me semble que les morceaux qui suivent, sauf toutefois le fragment de Maria Lucrezia, que j’excepte parce qu’il est tout sentiment comme la première élégie, auraient exigé un travail plus soigné, moins de laisser-aller dans la phrase, plus de fermeté dans le vers et souvent plus de sobriété dans les détails. Aujourd’hui, monsieur, le travail du vers est devenu obligatoire. On a poussé ce travail souvent jusqu’à l’affectation et c’est peut-être ce qui vous en a dégoûté. Mais vous avez l’esprit tr