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II

La mort de mon père et de ma mère me laissa aux soins de ma grand’mère. On n’a pas assez remarqué peut-être le caractère particulier de l’éducation des enfants faite par leur aïeule. Tant que les parents vivent, la grand’mère n’a guère souci que d’être trop bonne. Elle soutient volontiers les enfants contres les parents. Victor Hugo nous a donné la poésie de ce rôle dans L’Art d’être Grand-Père. Mais, quand la mort du père et la mère remet tout à coup l’enfant dans les mains de l’aïeule, et lui donne charge d’âme, oh ! alors, cette petite poésie un peu factice s’en va ; reste la prose, c’est-à-dire la responsabilité, l’idée sévère du devoir. Ce devoir est plus difficile à remplir pour la grand’mère que pour la mère. Elle ne se sent que remplaçante. La distance d’âge entre elle et l’enfant, lui rend plus malaisé l’emploi de l’autorité. Ma grand’mère, qui joignait beaucoup de bon sens et d’esprit pratique à beaucoup de tendresse, eut l’idée ingénieuse d’appeler à son aide, dans son rôle d’éducatrice, un auxiliaire tout-puissant, le souvenir de mes parents. Tout disparus qu’ils fussent, c’est avec eux qu’elle m’éleva. Elle les faisait intervenir dans les plus petits détails de mon éducation : « ― Apprends bien ta leçon, cela fera plaisir à ta mère ! Quelle peine tu ferais à ton père s’il