Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/183

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grâce à lui, m’appliquer ce vers charmant d’André Chénier :

La bienvenue au jour me rit dans tous les yeux.

Aussi, à peine mon prix obtenu, le premier sujet de poésie qui s’offrit à moi, ce fut lui, le premier morceau que je publiai, ce fut des vers sur lui. Voici cette pièce ; je la transcris ici, telle qu’elle parut, d’abord parce qu’elle fut accueillie avec une faveur marquée ; puis surtout, parce qu’elle fera comprendre mieux qu’aucune parole, l’étrange et cruelle épreuve à laquelle fut soumis mon culte pour cette chère mémoire ; comment cette épreuve me jeta dans la plus douloureuse angoisse ; comment je ne sortis de cette angoisse que par un violent effort d’esprit ; comment enfin, sous le coup de cet effort, j’entrai dans une phase décisive de mon développement intellectuel.


I

 
Mon Père

Je n’avais pas cinq ans lorsque je le perdis :
On m’habilla de noir… La mère de ma mère
Me couvrit en pleurant de ces sombres habits ;
Et, sans l’interroger, moi je la laissai faire,
Tout heureux d’étaler de nouveaux vêtements ;
Et mon corps seul porta le deuil sacré d’un père…
          Je n’avais pas cinq ans.