Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/186

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Je me rappelle aussi sa voix grave et sonore…
Mais son front, mais ses yeux, mais ses traits que j’implore,
          Mais lui !… lui, mon rêve éternel ;
Rien… toujours rien !… Le ciel m’a ravi son image !
Ah ! n’était-ce donc pas aussi mon héritage
          Que le souvenir paternel ?

C’est peu d’un tel regret… Ceux que je vois, que j’aime,
Parlent toujours de lui ; l’indifférent lui-même
          S’attendrit en le dépeignant :
Dans leurs cœurs trop heureux son souvenir abonde.
Tout le monde l’a vu, le connaît… tout le monde,
          Hélas ! excepté son enfant.

Aussi de quelle ardeur j’interroge et j’appelle
Les témoins de sa vie… ou même de sa mort !
Comme j’écoute, accueille, embrasse avec transport
Un mot qui me le peint, un trait qui le révèle,
Et comme avec délice en mon âme fidèle
          J’enfouis mon trésor !

Puis lorsqu’enfin mon âme est pleine jusqu’au bord,
Que je la sens gonflée et riche de ces quêtes
Qui me semblent à moi comme autant de conquêtes
          Que je fais sur le mort,
Je vole au monument qui me garde ses restes !
L’œil morne, le front nu, j’arrive aux lieux funestes,
J’ouvre la grille noir et sur le banc grossier,
A droite de la tombe, en face du rosier,
          Triste, je m’assieds en silence !
Là, je rêve, j’écris, je médite, je pense !
          L’esprit plein de ses vers touchants,
Là, je redis tout bas, à côté de sa cendre,
Les douloureux accords où son cœur triste et tendre
          Se répandit en plus doux chants.

Mais bientôt le soir vient et m’arrache à mon rêve ;
Mon fantôme si doux s’envole… je me lève,
          Je pars comme on part pour l’exil ;