Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/188

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et ne signifiait qu’un changement de décor. Mais à défaut de ces marques violentes de réprobation, les critiques souvent amères ne manquaient pas. La célèbre préface de Cromwell contenait une allusion moqueuse à la Mort d’Henri IV, tragédie de mon père, et Sainte-Beuve avait consacré à une édition complète de ses œuvres, un article où l’indulgence ressemblait au dédain.

Ce qui ajoutait à mon état d’angoisse, c’est que toutes mes sympathies de jeune homme allaient à l’École nouvelle. Ses audaces me charmaient, ses aspirations étaient les miennes. Encore au collège, dans ma petite chambre d’écolier, je réunissais quelques passionnés de poésie comme moi, et nous lisions avec enthousiasme le Chant de fête de Néron, Moyse sauvé des eaux, le Crucifix, le Lac. Je traduisais, en dehors de mes études, Roméo et Juliette, Macbeth, Lara, le Corsaire, le quatrième chant de Childe Harold. Le jour où nous apprîmes la mort de lord Byron à Missolonghi, fut pour nous un jour de deuil ; nous aurions volontiers mis un crêpe à notre casquette.

Plus tard, à la répétition générale d’Hernani, j’étais un des soixante favorisés qui pénétrèrent, armés du célèbre firman signé Yerro, et je sortis du théâtre si ému, que, rentré chez moi, quatre-vingts vers tout frémissants d’enthousiasme jaillirent, d’un trait, de ma plume, je n’eus presque que le temps de les écrire. Mais, en même temps, par une contradiction douloureuse, tout protestait en moi contre cette admiration ; d’abord, j’y voyais une sorte d’impiété filiale ; puis, le