Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/200

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projet de tirer une tragédie de la mort de Henri IV, ce fut un tollé universel. « Vous n’y pensez pas ! Un sujet de tragédie doit avoir au moins sept ou huit cents ans de date ! La mort d’Abel, à la bonne heure ! Cela remonte assez loin ! Voyez ce que dit Racine dans sa préface de Bajazet. Il ne s’est permis de traiter un sujet contemporain que parce que c’était un sujet lointain. Si l’action ne remontait qu’à quelques années, elle se passait à mille lieues. L’espace remplaçait le temps. Mais faire représenter à Paris, en 1806, une tragédie en cinq actes et en vers, qui s’est passée en prose à Paris en 1610 ! à peine deux siècles d’intervalle ! c’est plus qu’absurde, c’est impie ! Vous rabaissez Melpomène ! Et puis quel héros de tragédie ! Un héros qui jure ! Un héros qui dit : Ventre Saint-Gris ! Un héros qui parle de la poule au pot ! Voilà un mot historique que nous vous défions bien de citer. »

« Eh bien, j’accepte de défi, dit mon père. Et je mettrai Henri IV sur la scène ! et je ferai applaudir la poule au pot ! Et dans six mois je vous convoque à la lecture de ma pièce ! »

Au bout de six mois la pièce était faite. Mais survint alors un obstacle plus redoutable. A l’annonce de cette tragédie, tout le monde gouvernemental était entré en grand émoi. Cette apothéose d’un roi, d’un Bourdon, révolta tous les fonctionnaires, petits ou grands, comme une insulte à la gloire de l’empereur. La censure défendit l’ouvrage. Les ministres consultés y ajoutèrent un veto indigné. L’ouvrage était perdu. Heureusement