Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/218

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restât aristocratique de manières, de sentiments, et rien n’y peut mieux aider que le maniement de l’épée. L’épée n’a-t-elle pas le plus beau des privilèges ? c’est la seule arme qui puisse vous venger sans effusion de sang. Je ne sais pas de plus beau jour pour un galant homme et un habile homme, que celui où trouvant devant lui un adversaire qui l’a offensé et qu’il pourrait tuer, il le punit en lui laissant la vie, en le désarmant.

J’aime encore les armes comme auteur dramatique.

Que deviendrions-nous, je vous le demande, nous, pauvres auteurs de comédies, sans le duel à l’épée ? Le pistolet est un brutal qui ne convient qu’aux drames bien noirs et aux dénouements. Mais l’épée !… elle est de fête partout, elle sert aux expositions, aux déclarations, aux réapparitions. Que voulez-vous qu’on fasse, dans une comédie, d’un homme blessé au pistolet ? Il n’est plus bon à rien. Mais à l’épée, il revient deux minutes après, la main dans le gilet et essayant de sourire. La jeune fille ou la jeune femme lui dit : « Comme vous êtes pâle, monsieur ! ― Moi, mademoiselle… » Alors paraît, par hasard, un petit bout de taffetas d’Angleterre… « Ciel ! Henri, vous vous êtes battu ! » Ah ! l’admirable verbe que le verbe se battre ! Tous les temps en sont bons. Vous vous battez !… Battez-vous !… Ne vous battez pas !… Et comme il va bien avec ces exclamations !… ― « Mon ami ! par grâce ! ― Monsieur, vous êtes un lâche !… ― Arthur ! Arthur !… je me jette à tes pieds ! » Ne me parlez pas de théâtre sans ces deux collaborateurs indispensables… l’épée et l’amour !