Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/228

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Si je devais définir Bertrand d’un mot, je l’appellerais un homme de lutte ; il en avait le tempérament et parfois l’emportement.

Audacieux, ambitieux, orgueilleux, il apportait, dans le combat fictif de l’assaut, une telle passion qu’il semblait en faire un combat véritable, et il était toujours prêt à changer son fleuret en épée. Tous les amateurs ont gardé mémoire du fameux défi qu’il lança en plein Vauxhall, devant six cents personnes, à huit ou dix de ses confrères. A la suite d’une discussion survenue, je ne sais pourquoi, voilà mon arrogant, ― rappelons pour son excuse qu’il avait à peine vingt-cinq ans, et qu’à cet âge-là le sang bouillonne terriblement fort chez ces organisations puissantes, ― voilà donc mon arrogant qui s’avance et déclare tout haut que ses huit ou dix confrères sont des ânes, et qu’il le leur prouvera à tous quand ils le voudront, l’épée à la main. On devine sans peine quel tumulte suivit cette provocation. Cris ! Sifflets ! « A bas l’insolent ! Qu’il fasse des excuses ! » Le public était plus irrité et se sentait plus insulté que les insultés eux-mêmes. Enfin, le bruit s’apaise, les assauts recommencent, et Bertrand, à son tour, reparaît en scène. De toutes parts éclatent des murmures, soudain couverts par une explosion de bravos au moment où son adversaire fait son entrée. L’assaut commence, Bertrand était très pâle ; il touche le premier coup par une riposte admirable : silence complet. Il touche le second coup par un dégagement de vitesse : silence complet. Son adversaire, à la troisième passe, lui effleure le haut de l’épaule : tonnerre d’applaudissements. Un autre se serait