Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/231

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l’imprudence de faire un coupé de quarte en tierce ; Bertrand pare le contre… vous savez son contre ! Et d’un coup de riposte, il lui cloue si proprement le bras sur la poitrine que la pointe entre au haut du biceps, ressort par derrière, rentre dans les muscles de la poitrine et ressort dans le dos. Quatre trous ! monsieur, quatre trous d’où le sang sortait comme de quatre fontaines ! Oh ! le joli coup d’épée ! Je n’ai pu m’empêcher de crier bravo ! Gueux de petit frisé ! C’est qu’il le tuait, monsieur, il le tuait raide, si Lafaugère, en détournant le bras, n’avait pas fait filer le fer le long de l’os. Non, vrai, c’était beau ! »

Dans son troisième duel, il eut pour adversaire Toire. Les vieux amateurs se rappellent tous le petit Toire ; Toire le pompier, Toire l’Auvergnat, Toire l’héroïque. Toire l’ivrogne ; il était impossible d’être plus ivrogne, plus héroïque et plus Auvergnat. Un peu rude, lourd, vigoureux, irrégulier, affreux, mais très difficile, comme son langage. On avait autant de peine à se reconnaître dans ses coups que dans ses phrases. Il baragouinait de l’épée comme de la langue. Ne s’avise-t-il pas un jour de dire qu’il n’avait pas peur de Bertrand ! Il fallait qu’il eût bu un peu plus que de mesure ce jour-là, car il connaissait Bertrand de longue main, il avait été son prévôt et l’appelait toujours mon capitaine. Mais « mon capitaine » perdait plus souvent patience qu’autre chose, et le voilà parti pour la salle d’armes de Toire, à qui il inflige, devant ses élèves, une de ces leçons dont il avait le secret. Le petit