Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/245

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II

Il y a dans les langues humaines certains mots qui semblent formés de lumière, comme jeunesse, amour, beauté. Eh bien, il y a dans l’art certains noms qui rayonnent du même éclat. Telles sont Adrienne Lecouvreur, Mlle Rachel, Maria Malibran. Toutes les trois sont mortes avant l’âge ; et cette fin prématurée, ajoutant à leur talent le charme de l’inachevé, de l’interrompu, a établi entre elles une sorte de parenté ; on les voit volontiers comme trois sœurs de gloire.

Maria Malibran a trouvé dans Alfred de Musset un chantre admirable. Les stances qu’il lui a consacrées sont dans toutes les mémoires : mais ces stances disent-elles tout ? Non. La poésie ne peut pas tout dire. La poésie chante, elle n’analyse pas ; elle immortalise les êtres supérieurs, mais elle les transfigure. Le détail de leur caractère, de leur génie, leur nature intime disparaît dans la grandeur du portrait. Certes Bossuet n’a rien écrit de plus sublime que son oraison funèbre sur Madame ; mais il y a place à côté pour le simple et véridique récit de Mme de Lafayette. Le biographe ne contredit pas l’orateur, il le complète ; il ne corrige pas le portrait, il l’humanise. Les imperfections même y font partie de la ressemblance, et la vérité y ajoute sa poésie à elle. Je voudrais faire pour Alfred de Musset ce que Mme de Lafayette a fait pour Bossuet ; il a célébré Maria Malibran, je voudrais essayer de la peindre.