Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/249

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Comment résister à un pareil argument ? Elle répéta, elle joua, elle eut un succès immense et trouva à la fin un effet tout à fait inattendu, surtout pour son père. Ceux qui ont vu la Malibran dans Desdemona, se rappellent quel caractère nouveau elle avait imprimé au personnage. Mme Pasta y était sublime, mais elle jouait le rôle en femme de vingt ans. La Malibran lui en donna seize. C’était presque une jeune fille. De là, un charme délicieux d’innocence, de faiblesse touchante, de naïveté enfantine, mêlés d’explosions d’indignation ou de terreur, qui faisaient courir le frisson dans toute la salle. A la dernière scène, quand Othello marche sur Desdemona, le poignard levé, la Pasta allait au-devant du coup, forte de sa vertu et de son courage. La Malibran se sauvait éperdue, elle courait aux fenêtres, aux portes, elle emplissait cette chambre de ses bonds de jeune faon épouvanté ! Or, le jour de son début, quand son père la saisit au milieu de sa fuite et tira son poignard, elle entra si profondément dans son double personnage d’artiste et de fille, l’expression effrayante des yeux louches de son terrible père lui sembla tellement son arrêt de mort, qu’arrêtant la main qui s’abaissait sur elle, elle la mordit jusqu’au sang. Garcia poussa un cri sourd de douleur qui passa pour un cri de fureur, et l’acte s’acheva au milieu d’un délire d’applaudissements. Eh bien, la voilà tout entière ! La voilà telle que le théâtre la faisait ! si violemment saisie parfois par la situation dramatique qu’elle en était comme possédée ! Ne pouvant pas toujours régler et annoncer d’avance ce qu’elle ferait, car elle ne le savait pas toujours elle-même ! Disant