Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/273

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monstrueusement passionnée des œuvres dramatiques ! Son rôle de nourrice faisait-il tort à son rôle de tragédienne ? Nullement. Son rôle de tragédienne faisait-il tort à son rôle de nourrice ? Pas davantage. Sans doute, je cite là un fait exceptionnel, que peut seule expliquer la puissance d’organisation de Mme Ristori ; mais la Malibran elle aussi offrait mille contrastes de sentiments tout à fait inattendus. Quoiqu’elle fût l’image même de la vie, et que l’enjouement pût passer pour un des traits de son caractère, l’idée de la mort lui était souvent présente. Elle disait toujours qu’elle mourrait jeune. Parfois, comme si elle eût senti tout à coup je ne sais quel souffle glacé, comme si l’ombre de l’autre mode se fût projetée dans son imagination, elle tombait dans d’affreux accès de mélancolie, et son cœur se noyait dans un déluge de larmes. J’ai là, sous les yeux, ces mots écrits par elle : »Venez me voir tout de suite ! J’étouffe de sanglots ! Toutes les idées funèbres sont à mon chevet et la mort à leur tête. »

Ses pressentiments n’étaient que trop justes.


X

Elle était partie pour Londres au printemps. Un des plus hauts personnages de l’aristocratie, sachant son goût pour l’équitation, avait mis tous ses chevaux à son service. Il y en avait un qu’on appelait le roi de