Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/275

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fut un triomphe. Mais en sortant de scène elle tomba à demi évanouie. Le public la rappelle avec passion et crie bis avec frénésie. Toujours évanouie, elle ne peut reparaître ; les cris de l’auditoire redoublent. Le régisseur s’apprête à entrer en scène pour annoncer au public la triste impossibilité où se trouvait l’artiste de se rendre au vœu général ; mais les rappels, les bravos, les bis sont arrivés jusqu’à elle à travers les flottantes images du réveil. Elle arrête le régisseur, l’écarte, se lève, rentre en scène, et avec cette sorte d’énergie fiévreuse qui ressemble à ce qu’on appelle sur le champ de bataille la furia francese, elle recommence le morceau. L’effet produit sur l’auditoire, on le devine ; seulement, à peine rentrée dans la coulisse, elle s’affaisse sur elle-même et on l’emporte au foyer. Bériot, qui devait jouer immédiatement après elle, entre en scène par la porte du milieu, au moment où on l’emportait, elle, par la coulisse, et, par conséquent, il ne vit rien et ne sut rien. A peine est-elle arrivée au foyer :

« Un médecin ! un médecin ! » cria-t-on de toutes parts.

Il s’en trouvait un là, par hasard.

« Il faut la saigner à l’instant, dit-il, ou elle peut mourir étouffée en une seconde.

— Ne la saignez pas ! s’écrie Lablache, je vous le défends ! Je sais que dans l’état où elle se trouve, une saignée peut lui être mortelle.

— Et moi, je vous dis, reprit le médecin, qu’elle est morte si on ne la saigne à l’instant. ― C’est au nom de