Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/285

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façon à trouver toujours en elle-même une place nouvelle pour un dieu nouveau.

La véritable religion de l’art est le polythéisme. A Dieu donc ne plaise que je renie la musique italienne parce qu’on ne l’aime plus. On lui reproche trop de grâce, on l’accuse de mettre de l’élégance jusque dans la tristesse, soit ! mais elle a le plus beau de tous les dons, elle est faite de lumière. Puis, comme elle se marie bien à la voix humaine ! comme elle se prête à toutes ses souplesses, à toutes ses délicatesses, voire à tous ses caprices ! Lablache, en mourant, a dit un mot qui caractérise ce charmant art italien. Sa fille était près de lui… il ouvre la bouche pour lui parler… le son s’éteint à demi sur ses lèvres… « Oh ! dit-il, non ho più voce, moro. Je n’ai plus de voix, je meurs. »

Le nom de Lablache, qui se rencontre sous ma plume, m’oblige à dire à Berlioz : « Mon ami, il faut que vous attendiez ! » En effet, je serais un ingrat si je ne saluais d’un mot d’adieu les deux artistes qui ont enchanté ma jeunesse, les deux illustres représentants du style italien, de la tradition italienne, Lablache et Rubini. Parler d’eux, ce sera faire revivre pour un moment un art disparu et ce sera du même coup commencer le portrait de Berlioz ; car cette époque est la sienne, elle a fortement agi sur lui ; notre digression deviendra donc ainsi une transition.