Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/287

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n’entendrons plus cela ! Lablache avait, du reste, reçu comme acteur d’excellentes leçons d’un ancien artiste remarquable lui-même, son beau-père. Il m’a conté à ce propos un fait vraiement significatif.

Chargé, étant encore jeune homme, du rôle de Frédéric II dans un opéra nouveau, il lut tout ce qui a rapport au roi de Prusse, tâcha de se figurer et de figurer sa démarche, ses gestes, ses attitudes, et le soir de la répétition générale, il convia son beau-père. « C’est bien, lui dit celui-ci après la pièce, tu as bien porté la tête de côté comme Frédéric, tu as bien plié les genoux comme Frédéric, tu as même bien reproduit le masque de Frédéric ; mais pourquoi n’as-tu pas pris de tabac ? C’était une de ses habitudes. ― Pas pris de tabac ! répondit Lablache, j’en avais rempli les poches de mon gilet et j’en ai pris à tout moment. ― C’est cela, mon garçon, lui dit en souriant son beau-père, tu en as pris à tout moment, mais tu n’en as pas pris au bon moment. Il y a dans le second acte, une situation capitale ; c’est celle où la femme de l’officier coupable de désobéissance vient se jeter aux pieds du roi pour demander sa grâce. A cet instant, tous les regards sont tournés vers Frédéric, on se demande avec anxiété ce qu’il va faire ! Si à ce moment, avant de répondre, tu avais pris une prise de tabac, elle t’aurait compté pour tout le reste de la pièce. Au lieu de cela, tu as prisé à tort et à travers, quand on ne te regardait pas. Cela ne t’a servi à rien. Tu as reproduit l’habitude du roi, mais tu ne l’as pas fait revivre. »