Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

petites notes sautillantes, qui se terminent par cet horrible vocable : Styx ! Je conviens qu’il est bien infernal, mais infernal pour le chanteur, pour l’auditeur, et il détruit comme avec le cri aigu d’un sifflet, l’impression funèbre de cette invocation aux dieux de l’Érèbe. » Le morceau ainsi corrigé, il priait la maîtresse du logis de le lui chanter. Alors, aux corrections purement matérielles, succédaient les plus délicates indications artistiques. Il entrait et nous faisait entrer dans tout le mystère des intentions de l’auteur, dans toutes les nuances de l’accent, de la prononciation, avec un art qui nous rendait visible la pensée de Glück, et était capable de changer un simple amateur en véritable artiste.

Plus poétique encore était Berlioz expliquant la Symphonie avec chœurs. Ses articles mêmes, si admirables qu’ils soient, n’en donnent qu’une idée imparfaite, car dans ses articles il n’y a que son opinion ; dans sa parole, il y avait lui tout entier. A l’éloquence des mots, s’ajoutaient la physionomie, le geste, l’accent, les larmes, les exclamations d’enthousiasme, et ces trouvailles d’expression, ces audaces d’images que donne à celui qui parle le regard de celui qui écoute, le frémissement du visage répondant à la vibration de la parole. Une heure passée ainsi, m’en apprenait plus sur la musique instrumentale, qu’un concert du Conservatoire, ou, pour mieux dire, quand j’arrivais le dimanche suivant au Conservatoire, l’esprit encore tout plein des commentaires de Berlioz, l’œuvre de Beethoven s’ouvrait tout à coup devant moi comme un vaste temple plein de