Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dans le détail ; Michel-Ange et Meissonier. L’avouerai-je ? J’éprouvais une sorte de vertige à voir tout ce qu’il voulait faire dire à la musique, non seulement dans le domaine de la nature extérieure, mais surtout dans le domaine bien autrement mystérieux de l’âme. Nos émotions n’ont rien de si intime, nos sentiments n’ont rien de si secret, nos sensations n’ont rien de si fugitif, qu’il ne cherchât à le rendre par la langue des sons. Il voulait que sa musique fût l’écho des mille vibrations de son mobile cœur. Noble ambition, sans doute, mais au-dessus, je le crois, de sa puissance artistique. Je touche là un point très délicat. La famille des grands artistes se partage en deux classes : d’un côté les génies simples, clairs, lumineux, Haydn, Mozart, Rossini, et de notre temps Gounod. De l’autre les génies touffus, complexes Beethoven, Meyerbeer, et en face d’eux, Berlioz. Ces derniers créateurs ont peut-être, plus que les autres, besoin d’une très forte science ; la multiplicité de leurs idées, la puissance de leurs conceptions, la profondeur mystérieuse de leurs aspirations, demandent un talent de mise en œuvre, une souplesse d’exécution, qui exigent à leur tour un travail auquel la plus heureuse nature ne peut suppléer. Quand on voit à quel immense labeur s’est livré Meyerbeer, quand on examine par quelle solide éducation il a commencé, quelle rude discipline il a subie, quelles études successives il a faites du génie allemand et du génie italien, de la musique vocale et de la musique instrumentale, quelles recherches infatigables l’ont mis au courant de toutes les inventions mécaniques, industrielles, relatives