Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/325

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est moi, madame, répond ma femme. ― Vous vous trompez, reprit l’autre, je vous demande Mme Berlioz. ― C’est moi, madame ! ― Non, ce n’est pas vous ! Vous me parlez, vous, de la vieille Mme Berlioz, de la délaissée !… moi je parle de la jeune, de la jolie, de la préférée ! Eh bien, celle-là, c’est moi. » Et elle sort en fermant brusquement la porte sur la pauvre créature, qui tomba à demi évanouie de douleur !

Berlioz s’arrête à ce mot, puis après un moment de silence, il reprit :

« Eh bien, voyons, n’est-ce pas atroce ? n’avais-je pas raison de dire…

— Qui vous a raconté cette action abominable ? m’écriai-je vivement. Celle qui l’a faite, sans doute. Elle s’en est vantée, j’en suis sûr. Et vous ne l’avez pas jetée à la porte ?

— Comment l’aurais-je pu ? me répondit-il d’une voix brisée, je l’aime ! » Son accent m’ôta la force de lui répondre, et le reste de sa confidence acheva de me désarmer en me montrant que sa femme était bien vengée. Celle qui la remplaçait, avait une voix assez jolie mais faible, et elle était mordue de la rage de chanter sur un théâtre. Eh bien, il fallut que Berlioz employât son influence de feuilletoniste pour lui obtenir un engagement, il fallut que cette plume honnête, inflexible, farouche, se pliât à ménager, à flatter des directeurs et des auteurs pour lui procurer, à elle, un rôle de début ! Elle fut sifflée ; il fallut qu’il écrivît un article où il transforma sa chute en succès. Écartée du théâtre, elle voulut chanter dans