Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/34

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Son domestique l’a averti que le duc est venu. Est-il encore là ? Où est-il ? Sous le coup de ses soupçons, Danville interroge le trouble, la voix, les réponses embarrassées d’Hortense, et tout à coup, éclairé par un regard de terreur qu’elle jette sur le cabinet : « Il est là ! » dit-il tout bas.

Eh bien, supposez un poète dramatique de nos jours trouvant cette situation. Que ferait-il ? Evidemment Danville s’écrierait à haute voix : Il est  ! Il irait droit au duc, renverrait violemment sa femme, et la scène entre les deux hommes s’engagerait. Mais, du temps de Casimir Delavigne, on craignait les coups d’audace, parce qu’ils pouvaient amener des coups de sifflet. En face d’une situation périlleuse, on se préoccupait bien plus de la sauver que de l’aborder franchement. On était pour le système tournant. Danville se contient donc, engage Hortense à se retirer, et, devant son hésitation, se retire lui-même. Restée seule, la jeune femme fait un pas vers le cabinet où est caché le duc, puis s’arrête et sort par le fond, en disant :


Il pourra s’échapper !


Oh ! pour le coup, le public fut sur le point de se fâcher ; et il n’avait pas tout à fait tort. La jeune femme était bien imprudente de se fier au hasard pour une telle évasion ; cette imprudence fit chanceler un moment la pièce ; mais, à peine Mlle Mars sortie, Talma rentra avec une telle impétuosité, appela le duc avec une telle rage, qu’il emporta tout dans son mouvement, et entraîna le public après lui dans cette scène admirable,