Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/406

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père et de ma mère, le rôle de ces bonnes vieilles tantes, à qui on a recours dans les moments critiques, et qui trouvent toujours, au fond de leur secrétaire, deux ou trois mille francs au service des jeunes ménages en déficit.

Or, l’équilibre n’était pas le trait distinctif du budget de ma mère, et lorsque quelques dépenses excessives l’avaient un peu dérangé : « Si nous vendions, disait-elle, un bout du terrain de l’allée des Veuves ? » Et l’on fit si souvent appel à cette caisse complaisante, qu’à la mort de mes parents, ma fortune, en fonds de terre, se réduisait à quelques perches louées fort mesquinement à un maraîcher. Ajoutons que ce maraîcher payait très mal, et les impôts et réparations courant toujours, il m’en coûtait, bon an mal an, une trentaine de francs pour être propriétaire terrien. Heureusement, le feu de la spéculation se porta sur l’allée des Veuves ; cette allée des Veuves devint le quartier François Ier, mon tuteur vendit mon terrain à M. le marquis d’Aligre, cent vingt-neuf mille francs, de sorte que mon grand-père augmenta ma fortune d’un tiers par son éloquence, bien longtemps après qu’il ne parlait plus.

Enfin cette petite enquête de famille, cette visite domiciliaire dans mon for intérieur, m’amenèrent à constater un dernier fait plus décisif encore.

Avocat pour le public, mon grand-père était poète pour ses amis, je devrais peut-être dire pour ses ennemis, à en juger par l’anecdote suivante.

Il possédait, près de Paris, une jolie maison de campagne, à Brévannes. Un jour, il imagina d’y