Page:Legouvé - Soixante ans de souvenirs, 1886.djvu/426

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son sentiment du devoir ! Il lui fallait prendre par la douceur cette bête brute, qui était non seulement méchante, mais incapable… Peut-on concevoir un supplice plus affreux ?

Or, supposez un trait semblable se produisant dans toute autre institution ; qu’en serait-il résulté ? Qu’auraient été les sentiments, la conduite des deux élèves et de tous leurs camarades, en face de ce déni de justice ? Une irritation violente. Ils se seraient indignés contre ce chef de maison ; ils l’auraient accusé de faiblesse, de cruauté. Que firent les élèves de Goubaux ? Ils le plaignirent. Un d’eux connaissait et raconta aux autres la fausse position de Goubaux vis-à-vis du préfet des études, ses cruels embarras d’argent, et leur colère se fondit en commisération, en redoublement d’affection. « Pauvre homme ! se dirent-ils ; lui si bon ; Comme il doit souffrir de ne pouvoir nous protéger et nous défendre qu’à demi ! » J’hésiterais à rapporter ces paroles, tant elles sont invraisemblables, si je ne pouvais dire de qui je les tiens. C’est un ancien élève de Goubaux, c’est une des deux victimes de la brutalité du préfet des études, c’est un de nos plus spirituels confrères, M. Edmond Gondinet, qui m’a raconté ce fait, en y joignant des détails plus caractéristiques encore.

« Oh certes, me disait-il, la pension Saint-Victor laissait beaucoup à désirer ! la nourriture était médiocre, l’ordre et la discipline faisaient défaut, les maîtres étaient souvent durs et injustes, mais M. Goubaux était là et sa présence compensait tout. Croiriez-vous, ajoutait-il,